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Si vous venez pour la première fois sur le blog, je vous invite tout d'abord à faire connaissance ci-dessous...
J'ai eu le coup de foudre pour la Chine comme on a le coup de foudre pour une fille.

C’était en 1998, à la descente de l’avion, à l’occasion d’un premier voyage. A la seconde où mes pieds ont touché le tarmac, toutes mes interrogations liées au bonheur ont trouvé une réponse spontanée : le bonheur, c’est d‘être ici. A cet instant précis, j’ai su qu’un jour, je viendrais y vivre.

En 2003, après une période de maturation nécessaire, le rêve de l’expatriation est devenu une réalité. Vous raconter qui j’étais avant, et ce que je faisais en France, en dehors de l’attente du départ pendant toutes ces années, est sans intérêt. Mon quotidien en Chine, je le rêvais, tout le temps.

Ce qu’il faut que vous sachiez sur moi, c’est que j’étais venu pour ça : je suis venu pour cette atmosphère dans les rues. Je suis venu pour ces couleurs. Je suis venu pour le sourire des humbles. Je suis venu pour les lumières de la nuit. Je suis venu pour l’assourdissant trafic constant. Je suis venu pour cette population de fourmilière, partout, tout le temps. Je suis venu pour ce pays débordant de vie. Je suis venu pour ce pays qui ne s’arrête jamais.

Et après quelques années passées en Chine, comme dans n’importe quelle histoire d’amour, la passion a fait place à l’habitude.
Je suis parti à la recherche de la différence, et je suis resté pour aboutir la compréhension de moi-même, pointé du doigt que je suis par les locaux, avec ma couleur de peau différente ; la couleur de mes yeux, différente ; ma texture de cheveux, différente ; l’expression de mon visage, différente. Je suis resté pour cette culture plurimillénaire, qui perdure. Je suis resté pour cette indigence, tellement présente qu’elle en devient transparente. Je suis resté pour cette richesse due à une explosion économique exponentielle. Je suis resté pour cette cohabitation constante entre une pauvreté quart-mondiste et une modernité high-tech. Je suis resté pour cette ambiance, où la frénésie à faire des gains financiers pharaoniques côtoie des outils ancestraux.

Je vis à Suzhou, dans la province du Jiangsu, à 90 kilomètres de Shanghai, et à 1500 bornes de Pékin. Mon nom chinois, c'est Ke Lin. Depuis l'été 2005, je vis avec Cai Li, que j’ai épousé en septembre 2009. Depuis le printemps 2005, j'ai monté ma société de représentation, Onesource Agency.

- Exotisme au quotidien : relate toutes les anecdotes surprenantes et amusantes liées à la différence culturelle. Rien dans les guides touristiques ne prépare à ces situations quotidiennes étonnantes, à des encablures de ce que l'on peut vivre en Occident.

- Société contemporaine :
 la Chine est en pleine mutation, s'ouvrant sur le monde, jouissant d'une explosion économique unique. Cette rubrique est le témoin de cette évolution vers la modernité, sur un mode explicatif, analytique, mais aussi sympathique... Et souvent exotique.

- Traditions millénaires :
 comment les traditions ont-elles perdurées ? De quelle façon évoluent-elles dans un contexte de modernisation ? Accessible depuis peu, la Chine reste très mystérieuse, et cette rubrique propose d'en explorer les coutumes, recensant par ailleurs quelques carnets de voyages.

- Vidéo :
passionné de cinéma depuis l'enfance, je vous propose quelques courts-métrages, montés en vidéo numérique, dont notamment la série de reportages « en Chine avec l’expat ».

7 septembre 2006 4 07 /09 /septembre /2006 06:25
Hier, alors que j'étais dans le car me ramenant à Suzhou après un déplacement pour affaires, Cai Li me passe un coup de fil, faiblarde de voix, m'indiquant de la rejoindre sur son lieu de travail. Ce n'est pas sans appréhension que je lui ai demandé pourquoi, sachant que normalement, on se retrouve directement chez nous.
 
Elle me raconte alors qu'elle a fait une chute de son vélo électrique, suite à un léger accrochage avec une voiture, et qu'une entorse l'empêche de marcher. Connaissant mon tempérament anxieux, elle me rassurera, me précisant que ce n'est rien de grave, même si, entre le constat policier, et le passage à l'hopital, elle y a passé l'après-midi... Et que la douleur à son pied gauche reste intense.
 
Arrivé à Suzhou, je m'engouffre dans le premier taxi, pour la retrouver dix minutes plus tard, le visage fatigué, et la jambe allongée sur une chaise, du fait de sa souffrance à poser le pied par terre. Aussitôt, Cai Li me raconte comment tout celà s'est déroulé.
 
En début d'après-midi, alors qu'elle chevauchait son destrier à piles sur un passage piéton, une voiture est arrivée, et, freinant au dernier moment, frappa le vélo électrique de la petite en fin de course, la faisant choir de sa monture sur le bitume. Le vélo, sur sa partie la plus lourde, à savoir la conséquente batterie, lui tombera sur le pied.
 
 
 
  
1 - Des techniques de conduite apocalyptiques.
 
Les chinois donnent l'impression de ne conduire qu'en état d'ébriété avancée, roulant au klaxon (à tel point que je les soupçonne de pouvoir s'accomoder d'une voiture sans volant, mais de ne pouvoir en conduire une sans klaxon), zigzagant d'une allée à l'autre, sans aucun respect pour le marquage, doublant tant à droite qu'à gauche, forçant le passage partout et tout le temps, pilant au dernier moment sans rétrograder, roulant parfois même en éteignant le moteur, en roues libres, et avec une normalité complètement déconcertante. Ils doublent même si il n'y a aucune visibilité, se disant qu'il y aura toujours moyen de passer, ou de faire se décaler le véhicule arrivant en face. Il n'est pas non plus rare de croiser des voitures en contresens sur l'autoroute, ou des véhicules faisant marche arrière sur plusieurs centaines de mètres, sous prétexte qu'ils ont raté la sortie. Et outre ces voitures, je ne ferais même pas état du nombre de gens, à bicyclette, que je vois remonter les zones d'arrêt d'urgence des mêmes autoroutes, parfois en sens inverse, dans une nonchalance de promeneurs champêtres.
 
N'amoindrissez pas mes propos.
Il n'y a aucune emphase de ma part.
La conduite en Chine, il faut tout simplement la vivre pour la croire.
 
Quand je travaillais en centre ville, je voyais un accident quotidiennement, entre voitures, bus, passants, cyclomoteurs ou pousse-pousses. Dès que je prends le car pour aller dans une autre ville, j'y pense avec effroi. Dès que je traverse la route, je fais virevolter mon regard dans tous les sens, par peur de rentrer en collision avec un cycliste ou une voiture. Au printemps dernier, je m'étais rendu dans la province adjacente, pour y visiter une usine. Durant les quatre heures que dure le trajet en car, j'ai dénombré neuf accidents. Depuis un peu plus de dix ans que je travaille avec la Chine, j'ai connu deux personnes décédées suite à des accidents de la route. En Chine, le risque est tout simplement total.
 
Lors de mon tout premier voyage, il y a quelques années, j'avais été surpris d'entendre une cacophonie de klaxons dans les rues, et, en bon français n'ayant à l'époque que peu baroudé, j'en avais immédiatement déduit qu'il devait s'agir d'un mariage ! Le seul accouplement fêté était celui de deux voitures, et l'accompagnement des klaxons ne manifestait que le désir des autres conducteurs de voir la route dégagée.
 
Celà me fait toujours un peu sourire, quand mes proches, soucieux de ma bonne santé en Extrême Orient, me demandent de faire bien attention à l'hygiène, à la nourriture, au SRAS, ou à la grippe aviaire... Car très sincèrement, je coure mille fois plus de risques en traversant la rue.
 
 
 
  2 - La hantise de prendre le volant.
 
Moi-même, qui vit en Chine depuis plus de trois ans, jusqu'à très récemment, je n'avais que rarement pris le volant, toujours dans des endroits désertés, ou de nuit, pour ramener des connaissances, qui, d'avoir trop bu, étaient sur le point de perdre la leur.
 
Ce n'est qu'il y a quelques semaines, que je me suis décidé à me mettre à conduire... Et je le fais toujours avec une certaine appréhension, uniquement du fait de cette fourmilière désordonnée, où les réactions des véhicules sont imprévisibles, et où les belles avenues de Suzhou prennent des allures de pistes de stock car. A chaque croisement, il semble que les conducteurs ont perdu le contrôle de leur véhicule, souhaitent s'imposer comme les maîtres du bitume, où accueillent une femme sur le point d'accoucher sur leur banquette arrière.
 
D'une part, je créé chez les chinois une surprise amusée lorsqu'ils me voient au volant (en trois ans, j'ai du croiser deux fois des expatriés qui conduisaient); et d'autre part, je génère l'incompréhension désabusée de la plupart des étrangers, qui ne comprennent pas comment j'accomplis une telle prouesse. Lorsqu'ils apprennent que je conduis, ils me retournent un petit sourire en coin, me demandant si je suis "courageux, inconscient, ou suicidaire". D'autres ne répondent rien, et accompagnent leur sourire d'un regard dans lequel je peux lire "A qui veut-il faire croire celà ? Aucun étranger n'est capable de conduire ici". On ne peut rien anticiper de la part des véhicules, les rétroviseurs servent à la décoration, et une voiture est un outil permettant d'asseoir son pouvoir, comme un flingue dans le poing jouissif d'un militaire. Le risque induit pour la vie d'autrui ne semble pas être un paramètre.
 
3 - La voiture, partenaire de l'ego.
 
L'outil principal lorsqu'on conduit, c'est le cerveau. Les chinois, tout comme dans leur relationnel, n'utilisent pas leur cerveau, et préfèrent privilégier leur ego. C'est à celui qui saura en montrer le plus, celui qui impressionnera, celui qui donnera une image emplie de pouvoir. Car en Chine, on est cool que dès lors qu'on a de l'assurance, et on a de l'assurance que dès lors qu'on a du pouvoir. La plupart des voitures sont des paquebots, car il faut pouvoir se déplacer au volant d'un véhicule qui impressionne par sa taille et son confort.
 
L'accident de Cai Li en est l'échantillon parfait. En théorie, les véhicules doivent laisser passer les piétons. En pratique, les cyclistes et les piétons sont plus petits, plus vulnérables, et dès lors, doivent accomoder le passage aux plus gros. La police, même si elle est présente, adopte les mêmes règles de priorité, qui lui paraissent normales, et ne tente pas de rappeler à l'order les délictueux.
 
Ce genre d'accidents arrive en France. La différence, c'est qu'en France, si vous traversez un passage piéton, les voitures vous laisseront passer. En Chine, vous avez intérêt à savoir courir, et vite. Si vous traversez benoitement, ce sont les conducteurs qui vous prendront pour un fou de ne pas réaliser le risque que vous encourez... Alors qu'ils sont bien plus puissants que vous (rien d'étonnant, donc, à ce qu'un étudiant chinois, dressé dans une stoïcité confucéenne sur un passage protégé, se fasse écraser par un char pékinois).
 
Dans le cas de Cai Li, le conducteur voulait passer à tous prix, même si, en cycliste prioritaire sur un passage piéton, elle était sur son chemin. Il a montré qu'il était éduqué, car en Chine, celà aussi est important. Il a appelé la police, qui s'est déplacée pour faire un constat, et a emmené Cai Li à l'hopital, réglant les soins médicaux de la petite. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que, du fait d'un vide juridique total, la police est aussi tribunal de la situation, intimant, en Salomon du trafic routier, qui a tort et qui a raison. Quand Cai Li et le chauffard ont expliqué la situation aux représentants de la maréchaussée, ceux-ci ont déterminé que le chauffard était en tort, qu'il devait emmener la petite à l'hopital, payer ses frais médicaux, et compenser, sur la base de son salaire, les dix jours déterminés par le médecin durant lesquels elle ne pourrait ni marcher ni travailler.
 
Tout ceci est aussi banal qu'un bol de riz. Un vieux policier a expliqué à Cai Li que des accidents de la route, uniquement dans le maigre district de la ville qu'il gère, il en survient une dizaine par jour, avec de pics atteignant parfois cent par semaine. Cai Li, l'écoutant, restera estomaquée par la file d'intervenants venue faire une déclaration d'accidents de la route. L'histoire, pour elle, s'est arrêtée là. Elle n'a pas souhaité que je l'accompagne au poste de police, par peur de l'inconscient collectif chinois voulant que les étrangers soient richissimes. Par conséquent, le chauffard aurait pu la pousser à prétendre à moins, du fait de mon hypothétique situation financière de nabab.
4 - Un code de la route peu décodé.
 
Au-delà de cette conduite insurrectionnelle, force est de reconnaître que les conducteurs chinois ne sont pas éduqués correctement. Tout d'abord, tout le monde dispose d'une bicyclette ou d'un vélo électrique. Les vélos électriques roulent jusqu'à trente cinq kilomètres à l'heure en ville, et ne nécessitent aucun permis. Les cyclistes restent bien plus nombreux que les voitures (on doit au moins être à un ratio d'une voiture pour cent cyclos), et même si les infrastructures routières comptent des allées cyclistes larges, interdites aux voitures, la cohabitation avec celles-ci reste difficile.
 
Les vélos arrivent parfois au milieu de la chaussée réservée aux voitures, à contresens, et tentent simplement de se frayer un passage, sans qu'ils ne réalisent qu'ils risquent leur vie. On traverse n'importe où, sans regarder, parfois rapidement, et moi-même, lorsque je conduis et que j'arrive à la perpendiculaire d'une allée où piétons et cyclistes passent, je klaxonne systématiquement pour annoncer mon arrivée... Au risque, sinon, de voir un chinois déboucher au dernier moment d'un endroit d'où je n'aurais pu le voir surgir, ne regardant pas s'il peut traverser sans danger.
 
Cai Li n'échappe pas à la règle. Suzhou est une ville magnifiquement illuminée de nuit. Mais, les premières fois où, malgré les lampadaires et les néons, j'allumais le phare de notre vélo électrique au crépuscule, elle me demandait pourquoi, m'expliquant qu'il y avait bien assez de lumière pour qu'on puisse voir la route. Depuis, je n'ai toujours pas réussi à lui faire comprendre que les phares ne servent pas uniquement à voir, mais aussi à être vu. Systématiquement, j'ai droit aux épaules haussées dans un soupire, passant pour le peureux qui en fait trop.
 
La conscience du danger n'existe presque pas. Alors que les rues des villes chinoises sont larges, avec un trottoir pour les piétons, une allée aménagée pour les cyclistes, et au moins deux voies pour les voitures, les piétons continuent à marcher sur la voie des vélos. Très souvent, je suis obligé de tirer Cai Li par le bras, alors qu'un cycliste machinal se rue sur elle sans regarder. Systématiquement, il faut lui rappeler que la voie des vélos comme la route sont dévolues aux véhicules, et que nous serions bien plus en sécurité en marchant sur le large trottoir que le gouvernement communiste a généreusement construit à notre attention.
 
Quand j'ai demandé à mon ami Sun Ming Shan, après qu'il ait obtenu son permis, comment fonctionnaient les règles de priorité en Chine, tant celles-ci me paraissaient nébuleuses, il me répondra "tant qu'on va tout droit, on a la priorité". Tout aussi dubitatif, je lui ai demandé quelle était la règle à l'approche d'un carrefour ? Si je vais tout droit, j'ai la priorité, mais si une autre voiture arrive à gauche ou a droite, souhaitant aussi aller tout droit, nous avons par voie de conséquence tous les deux la priorité. Dans ce cas précis, qui est légalement censé laisser passer l'autre ? Et Sun Ming Shan, avec cette assurance imperturbable des chinois sans expérience mais qui veulent montrer qu'ils savent tout, concluera : "ça dépend !". En résumé, à l'approche d'un carrefour, c'est la loi du Talion. Celui qui klaxonne le plus fort, qui va le plus vite, qui fait rugir son moteur à l'explosion, et qui a le plus gros véhicule, gagne en général la priorité, jusqu'au prochain carrefour, où le défi recommence avec d'autres conducteurs.
 
Il faut bien resituer tout celà dans son contexte. Comparativement, en France, les rues sont très calmes. Il y a peu de voitures, et pour ainsi dire pas de cyclistes et peu de piétons. En Chine, c'est le déversement constant de véhicules de toutes sortes et d'individus, comme un torrent dont le courant ne cesse jamais, ne se jetant dans des directions dédiées que par les impératifs géographiques.
 
5 - Le permis de conduire, un jeu de faveur.
 
Comme dans de nombreux domaines en Chine, où corruption et petites escroqueries sont tellement présentes qu'elles en deviennent transparentes, le passage du permis de conduire n'est parfois assujetti à aucune connaissance théorique, ni même pratique.
 
Il y a quelques mois, Cai Li et moi-même devisions les informations sur une des chaines municipales, où les reporters dénonçaient une fraude fantastique s'étant déroulé en banlieue de Suzhou. Une soit-disant école de conduite proposait d'obtenir un permis en une heure et demie, sans même avoir à toucher un volant. Outre le fait que les candidats n'avaient pas à cumuler de fastidieuses heures de leçons de conduite, ou devant un écran à cocher les cases du code, le coût, même si il n'était pas neutre, s'avérait bien mois dispendieux que celui d'une obtention dans les règles établies.
 
Les margoulins ayant osé cette supercherie d'un applomb extraordinaire, disposaient de connexions avec les fonctionnaires dédiés à la gestion des permis, ceux-ci les accordant les yeux fermés, mais les poches pleines. On interviewait ainsi un pauvre bougre ocre cinquantain, pleurant devant la caméra d'avoir son permis à la main, sans même savoir comment démarrer une voiture. Il avait payé pour obtenir le morceau de papier, mais personne ne lui avait appris à conduire. Cet exemple n'est peut-être pas banal, mais il est loin d'être unique. Il faut mettre à la décharge des chinois que, par manque d'éducation flagrante, et par habitude de digérer directement la propagande sans même s'interroger sur son contenu, ils sont d'une crédulité de bas âge.
 
Moi-même, quand j'ai souhaité passer mon permis en Chine, je n'ai pas eu à m'acquitter des tests. J'avais toutefois pour preuve mon permis de conduire international.
 
C'était en mai, l'an dernier. J'ai retrouvé Zhu, une accointance d'affaires avec qui j'avais pris rendez-vous pour que celui-ci, du fait de son relationnel, selon ses propres termes, puisse "transformer mon permis international en permis de conduire chinois".
 
Zhu m'a présenté à un inconnu, archétype du cutéreux monté à la ville, dont l'apparence laissait penser qu'il devait avoir moins de vingt-cinq ans, mais dont le physique déjà éprouvé dénotait de l'origine agricole. Sympathique et souriant, ce garçon était incapable de communiquer autrement qu'en chinois et suzhouhua, le dialecte de Suzhou. Une liasse pampléthaire de documents sous le bras, il m'invitera à le suivre.
 
Zhu restera à son bureau. Le jeune homme, moi-même, et un autre gaillard plus âgé partirons visiter le bureau dédié. Nous arrivons dans cette administration chaotique qu'est le centre de passage du permis de conduire. A l'accueil, comme partout, c'est le pugilat. Nous passerons cette étape, sans patienter, et irons directement dans le bureau adéquat.
 
En Chine, avoir de l'argent n'est pas important. L'essentiel, c'est d'avoir des connexions. L'entraide est total, même si il est à peine légal. C'est plus ou moins toléré, car une partie de l'économie repose sur ce principe... Qui permet de nourrir des individus. Nous n'avons pas eu à attendre notre tour, car le chinois nous accompagnant officiait en passe-droit. Le jeunot n'était là que pour tenir les documents, et les remplir.
 
Dans la première pièce fourmillait la même foule. De chaque côté du mur étaient acollés des bureaux, méthodiquement, dans une discipline stalinienne. Chacun d'entre eux constituait une étape pour passer les formalités. Là aussi, il y avait de l'attente, les prétendants à la détention du permis de conduire jouant des coudes. Sans nous soucier de ceux-ci, nous sommes allés directement à la guérite du responsable. Le chinois qui nous accompagnait est allé lui taper dans le dos, a plaisanté avec lui comme si ils avaient fais le régiment et lui a offert une cigarette. Nous sommes repartis un mégot plus tard, avec des documents en main.
 
Suite à cette étape de copinage administratif, je n'ai pas eu à faire les tests auditifs, ni même de vue. Notre accompagnateur est passé au bureau des médecins en charge, leur a pris le tampon des mains sans que ceux-ci ne sourcillent, et a dûment estampillé ma demande de permis de conduire. Puis, alors que tout le monde faisait la queue aux guichets, il a fait le tour, passant derrière, et s'est servi de tous les cachets, formulaires et autorisations, sous les yeux des assujetis qui faisaient le pied de grue. Etonnant à voir, et parfaitement à l'image de ce principe corruptif, et qu'ici, on nomme "amitié".
 
Par contre, je n'ai pas pu me soustraire aux tests du code de la route, même si je n'ai eu qu'à sauver les apparences. Au dernier étage de ce batiment se trouve la salle de test. Il y a en fait une salle d'attente de hall d'aéroport, où l'on reste assis, en attendant d'être appelé pour passer les tests dans l'autre pièce. Dans cette autre pièce sont alignés des ordinateurs uniquement équipés d'un pavé numérique. Chaque candidat, une fois appellé, s'assoit derrière un pupitre high-tech, et dispose de trois quarts d'heure pour répondre à quatre vingt dix neuf questions.
 
Grâce à "l'amitié" chinoise, je suis rentré sans passer par la salle d'attente, et un ordinateur a été libéré pour moi sur le champ. Je me suis assis, ai regardé les questions, entièrement en mandarin. Le préposé viendra à mes côtés, me chuchotant d'attendre un peu, pour d'évidentes raisons de discrétion. Je suis resté assis là, pendant un quart d'heure, derrière cet écran dont les polices m'étaient hiéroglyphiques.
 
Autour de moi, on s'activait pour répondre aux questions. Certains candidats disposaient du code de la route sur les genoux, et y farfouillaient allègrement pour dénicher les réponses. Il s'agissait là aussi de gens ayant des connexions, pouvant ainsi rentrer avec toutes les anti-sèches souhaitées.
 
Un quart d'heure plus tard, le même fonctionnaire se profile à deux pupitres de moi. Il vérifie les documents du prétendant au clavier, pour s'assurer qu'il ne trichait pas... Feignant de ne pas remarquer ceux qui disposaient franchement de leur bouquin. Il passe au pupitre adjacent, prend discrètement le clavier des mains d'une chinoise qui avait des difficultés, et répond à toutes les questions restantes à sa place. Comme il s'agissait du pupitre contigu, celà permettait d'acheter le silence de la candidate, et éviter une plainte quelconque de sa part, au risque que le fonctionnaire corrompu en question ne perde sa place.
 
Dès que la demoiselle aura eu tout bon, il prendra mon clavier, jettera quelques coups d'oeil vifs d'inquiétude autour de lui et, en dix minutes, résoudra mes quatre vingt dix neuf questions. Au solde de celà, il me fera signe de rester assis encore un peu, et s'éloignera sans même me regarder. Après deux minutes, le jeune chinois me fera signe de le rejoindre.
 
Nous ressortons, et, dans la salle d'attente, il y avait toujours les mêmes candidats qu'à mon arrivée, une demie heure plus tôt. En redescendant, nous ne ferons pas la queue au guichet. Nous passerons directement derrière, et cinq minutes plus tard, j'aurais mon permis de conduire, avec la surprise de voir que mon nom chinois n'est pas le bon. En fait, "Ke Lin" ne se rapprochait pas du tout de mon nom de famille "Pavillon", et le préposé à préféré m'appeller "Bo Luo". Je ne vois toujours pas la proximité avec "Pavillon", mais ça n'est pas grave.
 
Dans la voiture, j'ai payé quatre cent yuans pour une heure et demie de prestation. Mon permis chinois est valable six ans.
 
Avoir son permis de conduire, même si celà tend à se banaliser, reste assez récent. Quand j'annonce que j'ai le mien depuis bientôt seize ans, les locaux ont souvent du mal à me croire. En Chine, il n'y a que ceux qui ont un peu de moyens, et donc un certain statut, qui se le permettent. Lu Zhong, un ami entrepreneur, qui est propriétaire d'une usine ne comptant pas moins de cinq cent ouvriers, n'a son permis que depuis quatre ans... Alors qu'il aura bientôt trente cinq ans. Mon partenaire, Wang Ke Rong, l'a passé cette année, alors qu'il a déjà vingt neuf ans. Tout ceci est très commun. Posséder une voiture est un rêve pour les chinois, chimère rendue réalisable par l'expansion économique. En conséquence, l'accroissement du parc automobile annuel est le plus élevé au monde. Et le gouvernement réussit assez bien à développer les infrastructures nécessaires à un tel déferlement de nouvelles plaques d'immatriculation. Mais il n'en reste pas moins vrai que la jeunesse de la plupart des conducteurs est totale. Malgré tout, j'ai le sentiment (mais peut-être uniquement forgée par l'habitude) que la situation s'améliore. Les jeunes qui obtiennent leur permis de conduire sont plus éduqués que les conducteurs l'ayant obtenu il y a dix ans, et la sécurité tend à devenir un paramètre.
 
 
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