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Si vous venez pour la première fois sur le blog, je vous invite tout d'abord à faire connaissance ci-dessous...
J'ai eu le coup de foudre pour la Chine comme on a le coup de foudre pour une fille.

C’était en 1998, à la descente de l’avion, à l’occasion d’un premier voyage. A la seconde où mes pieds ont touché le tarmac, toutes mes interrogations liées au bonheur ont trouvé une réponse spontanée : le bonheur, c’est d‘être ici. A cet instant précis, j’ai su qu’un jour, je viendrais y vivre.

En 2003, après une période de maturation nécessaire, le rêve de l’expatriation est devenu une réalité. Vous raconter qui j’étais avant, et ce que je faisais en France, en dehors de l’attente du départ pendant toutes ces années, est sans intérêt. Mon quotidien en Chine, je le rêvais, tout le temps.

Ce qu’il faut que vous sachiez sur moi, c’est que j’étais venu pour ça : je suis venu pour cette atmosphère dans les rues. Je suis venu pour ces couleurs. Je suis venu pour le sourire des humbles. Je suis venu pour les lumières de la nuit. Je suis venu pour l’assourdissant trafic constant. Je suis venu pour cette population de fourmilière, partout, tout le temps. Je suis venu pour ce pays débordant de vie. Je suis venu pour ce pays qui ne s’arrête jamais.

Et après quelques années passées en Chine, comme dans n’importe quelle histoire d’amour, la passion a fait place à l’habitude.
Je suis parti à la recherche de la différence, et je suis resté pour aboutir la compréhension de moi-même, pointé du doigt que je suis par les locaux, avec ma couleur de peau différente ; la couleur de mes yeux, différente ; ma texture de cheveux, différente ; l’expression de mon visage, différente. Je suis resté pour cette culture plurimillénaire, qui perdure. Je suis resté pour cette indigence, tellement présente qu’elle en devient transparente. Je suis resté pour cette richesse due à une explosion économique exponentielle. Je suis resté pour cette cohabitation constante entre une pauvreté quart-mondiste et une modernité high-tech. Je suis resté pour cette ambiance, où la frénésie à faire des gains financiers pharaoniques côtoie des outils ancestraux.

Je vis à Suzhou, dans la province du Jiangsu, à 90 kilomètres de Shanghai, et à 1500 bornes de Pékin. Mon nom chinois, c'est Ke Lin. Depuis l'été 2005, je vis avec Cai Li, que j’ai épousé en septembre 2009. Depuis le printemps 2005, j'ai monté ma société de représentation, Onesource Agency.

- Exotisme au quotidien : relate toutes les anecdotes surprenantes et amusantes liées à la différence culturelle. Rien dans les guides touristiques ne prépare à ces situations quotidiennes étonnantes, à des encablures de ce que l'on peut vivre en Occident.

- Société contemporaine :
 la Chine est en pleine mutation, s'ouvrant sur le monde, jouissant d'une explosion économique unique. Cette rubrique est le témoin de cette évolution vers la modernité, sur un mode explicatif, analytique, mais aussi sympathique... Et souvent exotique.

- Traditions millénaires :
 comment les traditions ont-elles perdurées ? De quelle façon évoluent-elles dans un contexte de modernisation ? Accessible depuis peu, la Chine reste très mystérieuse, et cette rubrique propose d'en explorer les coutumes, recensant par ailleurs quelques carnets de voyages.

- Vidéo :
passionné de cinéma depuis l'enfance, je vous propose quelques courts-métrages, montés en vidéo numérique, dont notamment la série de reportages « en Chine avec l’expat ».

21 février 2009 6 21 /02 /février /2009 05:49

Le scandale du lait mélaminé qui a défrayé l'actualité internationale suscite des craintes chez les consommateurs, qu'ils soient occidentaux ou chinois : tous se demandent s'il faut avoir peur du made in China. Dernièrement, un peu par hasard, je suis tombé sur des forums qui évoquent la potentielle dangerosité de ces articles. En les parcourant, j’ai ressenti au mieux une bonne crise de rire, et au pire une mauvaise crise de rage. Ces émotions passagères étaient générées par l'ignorance, souvent bien légitime, d'un consommateur qui a un peu de mal, faute d'information, à s'y retrouver quant à la provenance ou la qualité d'un produit.

 

J'ai commencé à vendre des produits chinois en France il y a quatorze ans, travaillant à l’époque pour un importateur d'outillage. Les produits étaient à la fois électriques et mécaniques, s'avérant doublement risqués pour l'utilisateur : nettoyez-vous le fond de la rétine à l'aide d'une perceuse à percussion avec le câble dénudé pieds nus sous la douche pour vous faire une idée –les enfants et les idiots, si vous me lisez, ne tentez pas l’expérience : c’est une bêtise dont seuls les adultes intellectuellement supérieurs ont le secret. Allons, allons. Un peu de bon sens-. Je suis resté huit ans dans l'entreprise, et ce sont, sans exagérer, des centaines de milliers d’outils que j'ai vu garnir les rayons des plus importantes enseignes de la grande distribution française. Dans la foulée, je me suis expatrié en Chine, travaillant pour des usines exportant leurs produits. Finalement, il y a bientôt quatre ans, j'ai monté Onesource Agency, dont la vocation est d'aider les PME occidentales à acheter en Chine. Malgré qu'elle s'avère hautement fastidieuse et assoupissante même auprès des lecteurs qui raffolent de ma prose –à savoir ma génitrice uniquement, donc-, cette exposition détaillée me permet de prétendre à une humble expertise, fruit de quatorze années d’import-export de produits chinois, et en conséquence, de donner quelques explications au consommateur perdu, d'anéantir des idées reçues absurdes, et de révéler des points méconnus du grand public, avec l'objectif pompeux de répondre à cette interrogation légitime mais pourtant mode et par trop politisée, à savoir « faut-il avoir peur des produits chinois ? » -vous pouvez respirer-.

 

Aux extrémistes, qu'ils soient boycotteurs interdisant le moindre made in China à leur caddie, ou sinophiles admirateurs du miracle économique, l'article risque de faire polémique. Et bien tant mieux ! Car il n'est nullement l’agrume –j’aurais pu dire « le fruit » plutôt que « l’agrume », mais c’est moins amer- de l'imagination ou d'idéaux, mais factuel.

 

1°/ Les produits chinois sont-ils fiables ? Allons, allons. Un peu de bon sens.

 

La question est complexe. Rassurez-vous, la réponse l’est tout autant. Tout d’abord, il faut être lucide : la qualité des produits chinois ne brille pas par son niveau d'excellence. Pourtant je reçois pour ainsi dire quotidiennement des offres de fabricants chinois qui valorisent l'irréprochabilité qualitative de leur production, sans gêne, et sans rire. Comme si les importateurs achetaient un article chinois avant tout parce qu'il est de qualité, et pas parce qu'il n'est pas onéreux. Allons, allons, un peu de bon sens. Si le globe entier achète en Chine, ce n'est pas du fait de l'intransigeante supériorité des produits qui y sont manufacturés. Non. Si la planète importe chinois, c'est parce que ces produits sont parmi les moins chers au monde. Derrière, les problèmes de qualité, les importateurs ont appris à s'en accommoder. C'est une vérité d'autant plus dure à vivre que, même si elle reste mon pain quotidien -on ne va pas non plus cracher dans la soupe : comme tout le monde, j'ai un loyer à payer -, j'y suis tant confronté dans mon métier qu'en tant que consommateur en Chine. Et à mes détracteurs avérés –il m’arrive de recevoir des courriers d’insultes en réponse à ma prospection commerciale-, qui voient en mon activité la jouissance esclavagiste d’un homme sans scrupule ni morale ni vertu ni conscience ni éthique ni déontologie qui exploite par âpreté orgasmique au fric les enfants qui travaillent dans les usines chinoises à la ferveur de coups de fouets administrés par des entrepreneurs tortionnaires, je répondrais ceci : je n’achète jamais de produits fabriqués par des enfants du tiers-monde. Ca se casse tout de suite.

 

Au-delà de cet aspect tarifaire, en conséquence de la délocalisation massive, très nombreux sont les articles qui ne sont dorénavant plus fabriqués en Occident. Et pour ceux-ci, qu’on le veuille ou non, il n’y a plus d’autre choix que de les acheter en Chine. C’est devenu un paramètre, à tel point qu’il m’arrive de recevoir des demandes émanant de créateurs de produits français qui ne trouvent plus d’industriels européens prêts à les fabriquer.

 

Si vous-mêmes, en Occident, en tant que client de grandes surfaces, vous trouvez que la qualité des produits chinois laisse à désirer, soyez-rassurés : les produits chinois vendus en Chine sont bien pires. En France, on regarde le prix avant d’acheter, car en dehors des consommateurs nantis, pour des produits usuels, on s’oriente au moins cher. En Chine, avoir cette démarche est impossible. J’en ai fais les frais : je l’avais moi-même à mon arrivée. Mais systématiquement, en choisissant les moins chers des ouvre boites ou décapsuleurs, ceux-ci se brisaient dès la première utilisation : ils n’avaient même pas rempli leur fonction une seule fois ! Et ne croyez pas que je les acquérais dans une échoppe tiers-mondiste. Non. Je les achetais à Carrefour ou Auchan, enseignes très présentes en Chine Populaire.

 

Le consommateur chinois s’interroge aussi sur le risque qu’il encoure. Et il le fait d’autant plus que la dangerosité des articles en Chine est bien plus probable qu’en Europe : les normes sécuritaires y sont moins restrictives, et l’administration de contrôle ne sert, dans la plupart des cas, qu’à punir des industriels quand le risque a déjà fait parler de lui. C’est le cas du lait à la mélamine. Moi-même, quand j’achète un bête ustensile de cuisine, même dans une grande surface occidentale, je me demande toujours, à la cuisson ou au stockage, quelles molécules toxiques vont migrer dans mes aliments : sans paranoïa, mais dans le doute, j’ai peur. Car ne croyez pas que Carrefour ou Auchan, sous prétexte qu’ils sont français, appliquent les mêmes réglementations qu’en Europe : ils se limitent, pour des raisons de profit, aux obligations normatives locales. Pour donner un exemple, cela fait peu de temps qu’il est interdit en Chine de fournir gratuitement des sacs plastiques au bout des caisses des supermarchés. Et il y a encore quelques mois, quand j’allais faire mes emplettes dans les enseignes précitées, la caissière me suppléait toujours un nombre de sacs plus important que nécessaire. En France à la même époque, les supermarchés culpabilisaient le consommateur vis-à-vis de l’environnement, lui faisant payer ses sacs. C’est de l’esbroufe : on le sait bien, l’éthique, c’est très bien tant que ça rapporte. Allons, allons. Un peu de bon sens.

 

La Chine nous a fait rentrer, internationalement, dans la culture du consommable. Que les plus séniles d’entre nous se remémorent leurs achats d’électroménager il y a trente ans : on payait certes un prix très élevé en rapport aux émoluments, et le crédit à la consommation était inexistant. Mais en contrepartie, les produits acquis l’étaient pour longtemps. Tels chaîne hi-fi, mixeur, ou machine à laver étaient des investissements onéreux, qui étaient achetés pour durer dix ans, vingt ans, voire une vie. Maintenant, tout le monde peut s’offrir un lecteur DVD pour le prix de trois places de cinéma, mais devra renouveler cet achat quelques brèves années plus tard, car une pièce essentielle aura rendu l’âme, justifiant l’acquisition d’un produit neuf plutôt qu’une réparation : c’est du jetable. Même si cette démocratisation a permis de niveler vers le haut le confort de pléthore de ménages qui, il y a un tiers de siècle, n’auraient pu se permettre ces achats, il a tout aussi sensiblement nivelé vers le bas la qualité des produits. En parallèle, les établissements bancaires, dans leur infinie sagesse numéraire –j’aurais pu dire « numérique » plutôt que « numéraire », mais la sagesse, par essence, sied peu à la mode-, ont développé le crédit à la consommation, qui permet à n’importe quel quidam désargenté, en plus de se faire prendre l’argent qu’il a déjà –un salaire se règle par virement : on nous interdit de vivre sans compte en banque-, de se faire pomper le fric qu’il ne gagnera jamais.

 

La Chine est-elle responsable de cette situation ? Je ne parle pas du crédit, mais de la durabilité des biens de consommation courante. Suivez, je vous en prie. Je reprends : la Chine est-elle responsable de cette situation ? Bien sûr. En partie. L’industrialisation de masse y reste assez récente, et même si, en quatorze ans, j’ai assisté à une évolution très positive quant à la qualité des produits, ceux-ci ne culminent pas encore par leur perfection. Les chinois ont fabriqué et amélioré leurs produits en même temps qu’ils les ont vendus et qu’ils se sont enrichis. Et, à l’échelle d’un développement national, aucun pays n’a atteint en si peu de temps le niveau de modernisation auquel la Chine prétend dorénavant. Pour autant, la qualité reste encore un écueil.

 

La grande distribution a aussi une grande part de responsabilité. Ses acheteurs aguerris ont pour politique de presser le citron –sans aucune connotation vis-à-vis des chinois : ils presseraient tout autant le Sultan de Zanzibar, pour peu qu’il soit fournisseur- afin de faire baisser les prix. Car les chaînes de magasins se livrent une guerre impitoyable pour être moins chères que leur voisin. C’est à cela que se limite leur stratégie, et à ceux qui ont trouvé que l’acheteur interprété par Daniel Prévost dans « la vérité si je mens 2 » était haïssable, sachez que la réalité est bien pire. Nombreux sont les rendez-vous que j’ai eu avec de tels acheteurs, affublés d’une arrogance inhérente à l’enseigne, et qui, avant même que vous ne leur ayez présenté votre produit, vous demandent quelle(s) remise(s) vous allez leur céder. Et si le montant des remises n’est pas en accord avec ce qu’ils souhaitent, ils vous chassent sans même avoir jeté un œil à l’article que vous étiez venu leur proposer : ils ne sont pas là pour acheter un produit ; ils sont là pour faire du fric. En conséquence, si les usines chinoises veulent développer leur activité, et accessoirement payer leurs salariés, elles doivent trouver des solutions pour être économiques, par exemple en achetant des matériaux ou des composants plus attractifs au niveau tarifaire. Ou bien, à qualité égale, mais pour un prix ras-des-pâquerettes, elles feront un profit sur le volume total, avec un bénéfice net larmoyant à la pièce. Et tout le monde s’y retrouve : la grande distribution passe des commandes colossales aux usines à un tarif minimaliste, et les fabricants chinois occupent conséquemment leurs chaînes de production, calculant leur bénéfice sur la quantité. Comme ces articles ne sont pas chers, ils sortent rapidement des rayons, alors que la prochaine promotion attend déjà derrière. Et puis l’intérêt de la grande distribution n’est pas de proposer des articles éternels : au contraire, elle préfère s’assurer que vous repasserez en caisse quelques années plus tard pour racheter un produit équivalent. Je schématise, tant pour éviter d’être barbant que copieux, mais la démarche, fondamentalement, est authentique.


 


S’il s’arrête à ce discours, le consommateur qui me lit va prendre peur, car il n’évoque que l’appât du gain sur la chaîne qui mène ces articles d’une usine chinoise à un supermarché occidental. Et pourtant, si on limite le débat à un niveau purement économique, c’est la loi du talion : c’est à celui qui vendra le plus, au moins cher, pour assurer sa croissance. Et oui, consommateur innocent, le monde est pourri. Allons, allons. Un peu de bon sens.

 

Il faut y mettre un sérieux bémol, car dans les faits, ce n’est pas pour autant qu’il y a plus à craindre d’un produit chinois que d’un article swazilandais : manque de durabilité ne veut pas dire dangerosité. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écris. Si, dans le premier paragraphe de cette première partie, j’ai écris : « la qualité des produits chinois ne brille pas par son niveau d'excellence », c’est que je voulais dire « la qualité des produits chinois ne brille pas par son niveau d'excellence », et pas « les produits chinois, c’est de la merde. » Les plus érudits n’amalgameront pas. Les autres continueront à acheter chinois.

 

Le sérieux bémol rapidement introduit au paragraphe précédent, c’est qu’on ne peut pas non plus importer n’importe quoi. La législation en France –et en Europe de manière générale, mais je deviens chauvin avec l’âge-, depuis le milieu de la décennie passée, est devenue de plus en plus contraignante, au bénéfice du consommateur : l’administration veille à ce qu’il ne meurt pas étouffé par les poils de sa brosse à dents made in China. En plus, mettez-vous à la place de la personne qui découvre le cadavre : c’est pas un mort facile à annoncer à la famille.

 

Cette contrainte légale, ce sont les normes européennes, aux quelles de nombreux produits sont assujettis dès lors qu’ils peuvent présenter une dangerosité pour les utilisateurs ou pour l’environnement, comme les produits électriques ou les jouets. Je vais m’efforcer de continuer à vulgariser mon savoir, et de ne pas devenir trop technique concernant le commerce international. Simplement, au même titre qu’un étranger doit passer l’immigration avec un passeport et un visa à son arrivée en France, toute marchandise importée depuis l’étranger –« importer depuis l’étranger » est un pléonasme, mais c’est ce qu’avec suffisance, j’ironisais par « vulgariser mon savoir »- doit obligatoirement passer par la case douane, sans toucher vingt-mille francs, pour être légalement mise à la consommation sur le marché français. Cette déclaration en douanes se fait sur foi des documents de transport depuis le pays de provenance, prouvant ainsi l’origine de la marchandise, et qu’elle n’a pas été volée. En sus –restez, c’est pas cochon- de ces documents de transport, l’importateur, qui en la dédouanant, devient responsable pénale de sa mise sur le marché, doit produire des certificats qui attestent de la conformité de ces produits aux normes européennes. Ces certificats sont émis par des laboratoires d’essai qui, après avoir testé les produits en accord avec ces normes, confirment que ceux-ci répondent bien aux nécessités qualitatives de la législation en vigueur. Et sans ces certificats, il est impossible de dédouaner la marchandise. Et s’il est impossible de la dédouaner, il ne reste à l’importateur que deux options : soit détruire la marchandise, soit la boomeranguer à l’expéditeur. Là aussi, je me permets de schématiser quelque peu, car je vois régulièrement de la marchandise dédouanée sans demande de certificats.

 

Les importateurs, sachant qu’ils sont responsables légaux, ne prennent pas de risques : si il y a un problème, c’est eux qui passeront leur retraite derrière les barreaux, à l’ombre, alors que, fort de leurs salaires entrepreneuriaux, ils l’envisageaient plus volontiers au soleil. Bien sûr, il existe des margoulins dans tous les businesses –j’aurais pu écrire « bizness », au franglais plus appropriable, mais il m’arrive de montrer autant de respect pour la langue de Shakespeare que pour celle de Molière-. Et comparativement aux voyous de l’international, rassurez-vous, mes frères consommateurs et mes sœurs consommatrices, les importateurs soucieux de notre bien-être –et de la localisation de leur retraite -, sont légions. Ils développent des procédures de suivi de la qualité qui permettent de mettre le consommateur à l’abri, s’armant de tous les certificats de conformité aux normes européennes, autopsiant avec précision les rapports de test effectués par les labos, se tenant informés de l’évolution de la législation, et mettant en place de véritables départements qualité au sein de leur entreprise.

 

Et puis, l’état veille, sous l’acronyme de la DGCCRF, qu’on nomme plus communément la Répression des Fraudes parce que c’est plus court et que ça fait plus cool, mais qu’il faudrait développer intégralement sous son véritable nom de Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence, et de la Répression des Fraudes. La DGCCRF est à l’importateur ce que le fisc est au contribuable nanti : un gendarme dans la crainte duquel on vit. Et c’est très bien ainsi. La Répression des Fraudes, ce sont les incorruptibles de la consommation. Son rôle, vis-à-vis des importateurs, est de s’assurer qu’ils commercialisent des produits conformes aux normes. Et dans leur mission, ils s’avèrent impitoyables. Ils se rendent dans vos supermarchés préférés, achètent des produits dans les rayons, et les envoient dans les laboratoires d’essais français pour test. Et si, au solde de ces tests, les produits s’avèrent non-conformes, ils disposent de tous les pouvoirs pour les faire retirer du marché. Et si en plus d’être non-conformes, les produits sont considérés comme dangereux, le responsable de leur mise sur le marché, nommément l’importateur, est passible du retrait du permis de conduire.

 

Non.

C’était une boutade, pour voir si vous suiviez toujours.

Allons, allons. Un peu de bon sens.

 

Je reprends : le responsable de leur mise sur le marché, nommément l’importateur, est passible des assises. Et même si l’entreprise est obligée, du fait de cet import pernicieux, de déposer le bilan –pour de très gros volumes de marchandises, ça s’est vu-, avec les conséquences sociales que cela peut avoir sur les salariés, les renvoyant aux files d’attente de l’ANPE, rien n’arrêtera le rouleau compresseur légal : nul n’est censé ignorer la loi.

 

La plupart des importateurs travaillent avec la DGCCRF, utilisant ses services à des fins préventives plutôt que répressives. Si ils ont un doute sur un produit, nombreux sont ceux qui vont demander l’aval de la Répression des Fraudes avant de l’importer. Bref, dormez sur vos deux oreilles : l’importateur est votre ami, et l’administration veille.

 

Maintenant, de vous à moi –pas de chichis entre nous-, si on souhaite aller au bout de la démarche, que valent véritablement les certificats de conformité issus par les laboratoires ? Sur le principe, on l’a dit, et j’ai horreur de me répéter, ils attestent de la conformité des produits aux normes européennes. Sur le principe donc, si on dispose d’un certificat pour un produit icks –voire igrèk-, c’est que le produit icks est conforme à la réglementation normative européenne. Mais la réalité est bien éloignée de ce principe, car en définitif, les certificats ne prouvent rien d’autre que la bonne foi d’un importateur qui a acheté des produits en Chine en croyant que ceux-ci étaient conformes aux normes, disposant pour cela des certificats que l’usine chinoise lui aura fourni en bulles papales.

 


Pour comprendre cela, il faut se demander comment est réalisé un certificat. Prenons l’exemple d’une usine chinoise qui souhaite commercialiser un produit en France. Elle réalise un échantillon qu’elle fait parvenir à un laboratoire. Au solde des tests, le laboratoire émet un rapport d’essai complet, avec, pour conclusion, un certificat qui confirme que le produit testé est conforme aux normes européennes. Dés lors, l’usine peut démarrer sa production, et si un importateur français souhaite s’approvisionner, elle brandira le certificat de conformité et le rapport d’essai pour prouver le respect des normes de son produit. Mais qui nous dit, en dehors des responsables de l’usine qui s’en frottent les pognes, que la production sera intégralement effectuée en clonant l’échantillon livré au laboratoire, avec les mêmes caractéristiques normatives ? Et bien personne. Pour des raisons techniques ou économiques, le fabricant peut très bien changer une partie des composants, sans en informer qui que ce soit. Dès lors, l’assurance de la conformité totale est impossible. Et dès lors derechef, le certificat dont dispose l’importateur ne lui sert qu’à prouver sa bonne foi, et à montrer à l’administration –qui pour le coup, devient répressive-, qu’il n’a pas importé n’importe comment, mais qu’il s’est bien assuré que le produit était en adéquation avec les normes. Pour quelles raisons croyez-vous que la DGCCRF procède à des contrôles dans les rayons des magasins ? Rassurez-vous toutefois : fort de l’éducation que nous avons prodiguée aux chinois en délocalisant, ceux-ci réalisent les enjeux, et apprécient de pouvoir se gargariser de leur sérieux commercial et technique. Le risque est donc somme toute assez limité, mais il existe : nous en avons entendu parler l’an dernier avec la présence en Occident de jouets dont la peinture contenait du plomb. Et pourtant, à en croire les certificats, celle-ci était sans risque.

 

Et ce n’est pas le plus fort ! Si l’un d’entre vous doit s’infuser une norme européenne, qu’il prépare une dose chevaline de paracétamol, et qu’il se rase le crâne : cela lui évitera de s’arracher les cheveux. Car j’ai assisté à des cas amusants à raconter, mais éreintants à vivre : si vous envoyez deux échantillons similaires à deux laboratoires différents, du fait de l’interprétation de la norme par le technicien qui procèdera au test, vous risquez d’avoir deux résultats d’analyse différents, l’un concluant à la non-conformité, et l’autre à la conformité de l’article ! Encore mieux, et je l’ai vécu : deux techniciens d’un même laboratoire opèrent des tests sur deux produits identiques, et malgré tout, en ressortent avec des conclusions différentes ! Il n’y a personne à blâmer : la norme peut parfois s’interpréter, et les techniciens sont des hommes. Il n’en reste pas moins vrai que cette humanité révèle une faille au système.

 

Alors, pour répondre à la question « faut-il avoir peur des produits chinois ? », même si ces articles ne sont pas exceptionnellement qualitatifs, le risque de dangerosité est somme toute limité. Moi-même, qui connais très bien cette chaîne à l’import, j’achète chinois, et continuerais de le faire. Allons, allons. Un peu de bon sens.

 

2°/ Faut-il refuser un produit chinois ? Allons, allons. Un peu de bon sens.

 

Deuxième excellente question, là aussi complexe. La réponse est casse-gueule. Comme je l’écrivais, j’ai pris note, en devisant les forums que je citais en introduction, de la volonté de boycott de certains consommateurs en regard des produits chinois. Les raison sont variables : politiques et éthiques pour certaines, liées à la dangerosité pour d’autres, ou encore souhait de préserver l’industrie européenne. Et dans tous les cas, les gens font bien ce qu’ils veulent.

 

Comme je l’écrivais aussi, toujours avec cette récurrence qui frise la sénilité, en tant que consommateur, j’achète chinois, et continuerais de le faire : hormis la durabilité, le risque m’apparaît rare. Malgré tout, je dois l’avouer, la question se pose. Ici, je ne bénéficie pas de la garantie des normes européennes. Même si, au même titre qu’en Europe il existe des normes, il existe en Chine la certification CCC, son application n’a pas empêché le scandale du lait. Dans tous les cas, nous ne vivons pas dans un univers aseptisé : chacun de nos actes, et l’achat en est un au même titre que traverser la route, comporte un risque. Par contre, on traverse plus facilement la route en connaissance de cause.

 

Et puis, en Europe, les importateurs font preuve de bon sens. En testant un produit, tout certifié qu’il soit, s’ils réalisent qu’ils font courir un risque à l’utilisateur, ils s’interdiront de l’importer. En Chine par contre, la prise de conscience est souvent inexistante, et j’en veux pour preuve qu’il soit normal, au sein d’une grande enseigne, de commercialiser des produits qui se brisent à la première utilisation. Si, sur un principe aussi basique, les fabricants s’en soucient peu, que penser de leur démarche vis-à-vis de la sécurité ? Fondamentalement, le paramètre ne doit pas rentrer en ligne de compte : tant que ça rapporte.

 

Ensuite, politiquement, boycotter les produits chinois me paraît être la pire des méthodes : ce n’est pas la dictature en place qui va en maléficier –c’est un néologisme, certes, mais on dit bien « bénéficier », alors je ne vois pas quel lettré, fut-il académicien, pourrait m’interdire l’utilisation de « maléficier » : on dit bien « bénéfice » et « maléfice », alors-, mais les ouvriers qui viennent tout juste de s’extraire des tickets de rationnement pour survivre de manière moins précaire. Ces travailleurs n’ont pas besoin que des occidentaux qui ne savent pas ce que c’est que d’avoir faim viennent les priver de leur moyen de subsistance sous un quelconque prétexte humanitaire qui va en contradiction avec le résultat. La Chine est en train de se sortir du tiers-mondisme, et l’accomplit en un temps record. Pour autant, on ne peut désengluer de la pauvreté vingt pour cent de la population mondiale d’un coup de baguette magique. J’adhère au combat social, mais le situer à cet échelon là, c’est n’avoir rien compris aux paramètres du problème. La vie des ouvriers chinois, même si inimaginable selon les canons du confort occidental, s’est sensiblement améliorée comparativement à celle de leurs parents. Et leurs salaires, malgré qu’ils restent piètres, augmentent dans le sens d’un développement social que même Zola aurait approuvé. Néanmoins, comme partout à travers le monde, ils restent les derniers servis après l’administration et les entrepreneurs.

 

A nouveau, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écris. Si j’ai écris « politiquement, boycotter les produits chinois me paraît être la pire des méthodes », c’est que j’ai voulu dire « politiquement, boycotter les produits chinois me paraît être la pire des méthodes », et pas « il ne faut rien faire, et laisser les ouvriers chinois dans leur infamie ». Si, en bon samaritain, il est inacceptable de savoir que des ouvriers travaillent dans des conditions tout aussi inacceptables à l’autre bout du monde, que peut-on faire ? Et si ce n’est pas en refusant les produits qu’ils fabriquent, et en les soustrayant donc à tout moyen de se nourrir, que reste-t-il ?

 

Tout d’abord, pour vivre en Chine depuis six ans, je réalise que la définition des « conditions inacceptables » n’y est pas celle sur laquelle on s’entend unanimement en Occident. Il y aurait tant à dire sur l’appropriation d’une réalité en fonction d’un référent culturel qu’un annuaire entier s’avèrerait succinct. Si j’écris cela, c’est que je reste estomaqué par la démarche généralisée en Occident, qui veut qu’on soit certain de détenir la vérité sur la façon dont le monde doit fonctionner, et qu’on conserve une capacité purement colonialiste à donner des leçons aux pays en voie de développement. A ces idéalistes-là, qui ne sont jamais sortis de leur écrin hexagonal, prenez un billet d’avion, frottez votre cervelle –pour peu que vous sachiez vous servir de ses deux hémisphères, et pas seulement des deux hémisphères caudaux qui, présentement, vous servent à vous asseoir devant votre ordinateur- à celle des populations humbles dont vous vous ne connaissez rien du modus vivendi. Vous réaliserez dès lors que votre réflexion, qui ne prend en considération que les références qui vous englobent dans votre pays, est aussi limitée que la vision d’un ongulé avec des œillères. C’est normal, car pour comprendre le mot « différence », il faut vivre ailleurs, et loin de moi l’idée de traiter qui que ce soit d’ongulé.



 

Il n’y a pas plus tard qu’il n’y a pas longtemps, à l’occasion du nouvel an chinois, Cai Li et moi-même, comme chaque année, nous sommes rendus chez ses parents, un couple d’agriculteurs au cœur d’une générosité telle qu’elle ne cesse de m’émouvoir par son naturel et sa gentillesse : je reste ébahi que leurs corps aussi fins puissent contenir des cœurs aussi gros. C’est d’autant plus rare que, vivant en Chine, où la réussite financière est synonyme de vertu et a pour conséquence directe l’arrogance de la possession matérielle et du pouvoir, fréquenter des gens simples, tant dans leur quotidien pécuniaire que dans leur démarche vis-à-vis des autres, constitue une cure de bien-être. Ils n’ont pas grand-chose, et pourtant ils le partagent. Cela change aussi de l’Europe, où nous prenons les armes pour défendre un principe social, mais gardons nos portes bien closes, à l’abri, dans le confort de nos appartements duveteux où on a peur de tout se faire voler.

 

La maison que mon beau-père a construite repose sur trois niveaux et sa surface rivaliserait avec celle d’une villa en Occident. Pour autant, il n’y a que peu de meubles, et tous existent pour répondre uniquement à une exigence fonctionnelle. La décoration et le confort sont inexistants, car comme ils ne répondent pas à une application utilitaire, ils sont considérés superflus. Je fis remarquer à Cai Li à quel point l’intérieur de ses parents était spartiate. Elle me répondra qu’à l’inverse, si ses parents venaient chez les miens, en France, ils ne comprendraient pas leur démarche: tous leurs bibelots et leurs cadres ne servent à rien d’autre qu’à noyer la fonctionnalité de leur maison, et constituent tant un nid à poussière qu’un gaspis d’espace et d’argent. Même si elle est va en confrontation avec le référentiel occidental, où vivre ainsi confèrerait au misérabilisme, et où la décoration est identitaire, leur logique tient la route. Et pour eux, vivre autrement serait inacceptable, tant cela leur paraitrait absurde. Alors si les gens vivent en osmose avec leur condition, et que l’eau courante ou le chauffage leurs paraissent superflu, qui sommes-nous, armés de notre vérité qu’on croit universelle, pour vouloir changer les choses ? J’ai pris là une anecdote personnelle, mais j’en aurais tant d’autres qui pourraient s’appliquer aux ouvriers chinois de plus de trente-cinq ans.

 

Par contre, la jeunesse chinoise aspire à plus : elle est née avec le miracle économique, voit des individus de sa génération s’enrichir en entreprenant, et tous rêvent de devenir patron. A cet égard, le delta des prétentions au confort de Cai Li comparativement à ses parents est stupéfiant, se rapprochant grandement des standards occidentaux. Et si depuis trente ans, nous n’avions pas fais nos emplettes en Chine, ma douce et tendre vivrait encore dans la précarité. Quand il m’est arrivé d’en discuter avec elle, et de lui faire part, pour des raisons humanitaires, du boycott de certains de mes compatriotes altruistes, elle n’a pas compris la démarche : le résultat atteint, favorisant l’appauvrissement de la population, serait exactement le contraire de l’objectif escompté.

 

Il n’en reste pas moins vrai que la jeunesse chinoise humble est confrontée à l’impossibilité d’accéder à l’éducation : leurs parents n’ont pas toujours les moyens de les envoyer à l’université, et ils doivent subvenir à leurs besoins -et souvent à ceux de leur famille-, en travaillant durement. Est-ce que boycotter les produits chinois permettra d’élever leur niveau de vie ? Bien au contraire : il les poussera, eux et leurs parents, sur les bancs grossissants du chômage. Et en Chine, il n’y a pas les Assedic et le RMI : sans travail, on ne peut pas manger.

 

Alors, à ceux qui souhaitent faire quelque chose, il ne reste qu’une solution pour aller au bout de leur démarche : rapprochez-vous d’un organisme humanitaire, comme « les enfants du Ningxia », fondé par Pierre Hasky, et qui propose, grâce à la contribution financière de ses adhérents, d’envoyer des enfants chinois à l’école pour que leur avenir soit plus radieux. Et si les raisons du boycott ont pour toile de fond les droits de l’Homme ou le Tibet, le refus des produits chinois n’aidera pas plus : empêcher la population chinoise d’accéder au confort économique ne fera que reculer l’échéance de sa prise de conscience sociale. Là aussi, la seule solution, pour aller au bout de votre démarche, c’est de rejoindre Amnesty International.

 

Par contre, pour ceux qui dénoncent aussi facilement qu’ils respirent, un autre problème se pose : boycotter l’achat de produits chinois pour des raisons éthiques et le revendiquer socialement est aisé ; par contre, donner de l’argent pour les mêmes raisons, et en conséquence se priver et diminuer son petit confort, dans les actes, s’avère bien moins facile…

 

Pour finir, qui a sorti le nez de l’hexagone aura compris que la préservation de l’industrie occidentale est une vue de l’esprit. Je lis parfois des propos qui sont bien charmants tant ils sont idéalistes, mais qui sont à des encablures de la réalité : la mondialisation est un fait qu’on ne peut nier, au même titre qu’on ne peut remettre en cause l’invention de la roue. Et ce serait un tort : les échanges internationaux créaient des richesses supplémentaires. On ne vit plus à l’échelle d’un pays : ce n’est plus comme cela que le monde fonctionne, et c’est là accepter une réalité. Et puis, en permettant à la Chine de s’arracher au tiers-monde, on permet à sa population d’accéder à la consommation de produits occidentaux. Et maintenant que le peuple chinois en a les moyens, nombreuses sont les PME françaises qui souhaitent leur vendre leurs produits. Finalement, en achetant en Chine, l’Occident a fait preuve d’altruisme –même si l’objectif était purement économique. Allons, allons. Un peu de bon sens-, permettant au pays de se sortir de son impécuniosité. En retour, l’Occident, après avoir enrichi le pays, peut y développer son chiffre d’affaires. Il y a là une logique de non-ingérence, au solde de laquelle c’est le peuple qui en bénéficie. Et quand le pays aura atteint un certain stade de confort, la population s’interrogera sur ses nécessités sociales : elle en aura les moyens financiers, le recul du développement, et l’éducation nécessaire. Mais en l’état actuel des choses, cette démarche est encore prématurée : on ne demande pas de courir à quelqu’un qui arrive tout juste à marcher. Ah oui, j’avais annoncé que l’article allait faire polémique.

 

3°/ Comment reconnaître un produit chinois ? Allons, allons. Un peu de bon sens.

 

Malgré tout, encore une fois, les gens font bien ce qu’ils veulent. Aussi, pour les incurables du boycott et les effrayés du caddie, je vais lister quelques informations qui leur permettront de reconnaître plus facilement un produit chinois. Et à ceux qui toutefois se gargarisent de ne jamais acheter chinois, je ris au nez : ils ne savent pas ce qu’ils disent, car ils n’ont aucune idée de ce qu’ils achètent, et je serais curieux de les accompagner faire leurs courses pour voir combien de produits made in China ils passent en caisse sans le savoir. Allons, allons. Un peu de bon sens. Les produits chinois sont inévitables tant ils sont nombreux : l’invasion a déjà commencé. Pour exemple, pas plus tard qu’hier, pour le compte de ma société, je suis allé visiter une usine qui fabrique des articles à base de liège. En me promenant dans la salle d’exposition où sont mis en valeur les produits, je suis tombé sur certains que l’usine vend à Ikea, et d’autres à Habitat. Ikea étant le premier client de cette impressionnante chaîne de production –vingt-deux mille mètres carrés tout de même-, il y a de fortes chances que, si vous possédez des produits en liège achetés dans cette enseigne, ils proviennent de cette usine. En discutant avec la commerciale, elle m’a appris qu’Ikea faisait sous-traiter la fabrication de ses designs à de nombreuses unités de production, en passant par ses cinq bureaux d’achats en Chine, à Shanghai, Wuhan, Shenzhen, Chengdu, et j’ai oublié le cinquième. Même combat pour Habitat, qui par contre, ne dispose pas d’une telle structure en Extrême Orient.


Dites-vous bien, amis consommateurs, que toutes les enseignes, quelles soient alimentaires, solderies, spécialisées en bricolage, en décoration, sont toutes présentes en Chine dans le cadre de leurs achats. Et même si elles le voulaient, elles n’auraient pas le choix : leurs concurrents y sont. La conséquence positive c’est que, même si elles ont commencé par y acheter, toutes ces enseignes ont maintenant implanté des magasins en Chine : Carrefour, Auchan, Wallmart –géant américain, première chaîne de grandes surfaces au monde, juste devant Carrefour-, Ikea, Intersport, Castorama –par le biais d’un autre enseigne : B&Q-. Les occidentaux ont commencé à vendre en Chine, même si l’industrie reste l’apanage des chinois. Et pour ce qui est des grands distributeurs, ils font très forts, revendant aux consommateurs chinois les produits qu’ils achètent à leurs usines.



 

La grande distribution est les usines chinoises sont aussi indissociables que l’origine et l’extrémité d’un vecteur. Dès lors, pour les consommateurs qui s’entêtent, chasser les produits chinois devient un casse-tête. Je liste toutefois, à leur intention, quelques éléments qui les aideront :

 

Tout d’abord, oubliez l’idée reçue qu’un code barre identifie à coup sûr l’origine d’un produit. C’est archi-faux. Je vais tenter de faire bref, et pas trop technique, en prenant le cas du code barre le plus commun, à savoir l’EAN-13, qui comme son suffixe l’indique, contient treize chiffres. Le préfixe vaut pour European Article Numbering, si ma mémoire ne me fait pas défaut, mais je prends de l’âge, et par ailleurs on s’en fout. Les six premiers chiffres indiquent ce que Gencode, l’organisme en charge de la gestion des codes barres, définit comme le CNUF, soit Code National Unifié Fabricant ou encore code « lieu –fonction » : c’est le radical qui identifie le responsable de la mise sur le marché. Et le premier de ces six chiffres est le code pays. Et dès lors qu’un importateur immatriculé auprès de Gencode a ses bureaux en France, le code pays sera celui de la France : l’origine chinoise est donc impossible à déceler.

 

Ensuite, oubliez aussi l’autre idée reçue qui veut que le logo CE sur un produit indique sa provenance chinoise. Ca n’a absolument rien à voir. Le logo CE indique simplement que l’article répond aux exigences de normes européennes. Il peut tout aussi bien avoir été fabriqué au Kamtchatka. Par ailleurs, nombreux sont les produits qui ne sont pas assujettis aux normes, et qui sont donc exempts de logo CE, qu’ils soient chinois ou non.

 

Malgré tout, sachez que le marquage du pays d’origine sur un produit est une obligation légale, qui fait partie intégrante des normes européennes. Les importateurs sont d’autant plus vigilants sur ce point que pour un bête problème comme l’absence du marquage d’origine, la DGCCRF peut réclamer le retrait de la marchandise. Mais sachant que l’apposition de la mention « fabriqué en Chine » est connotée négativement, les importateurs ont contourné cette obligation, mentionnant certes la provenance, mais avec une lisibilité difficilement décelable pour le consommateur lambda. Ainsi, sur la majorité des produits chinois voit-on fleurir des indications telles que « fabriqué en prc » - prc signifiant « People’s Republic of China »-, voire même « Rep. de C. » qui, aux yeux inattentifs du chaland qui à autre chose à foutre le samedi après-midi qu’à passer des heures dans les allées populeuses de sa grande surface pour analyser le contenu des étiquettes, aura vite fait de se comprendre République du Congo. D’autres, plus succincts, impriment « fab. RPC », annotation abstraite s’il en est, qui n’informe nullement le consommateur, mais qui, légalement, répond aux normes. Cette mention obligatoire de l’origine, chers consommateurs et chères consommatrices, est le seul outil dont vous disposez pour savoir si vous achetez chinois.

 

Et encore… Là aussi il y a un bémol ! Il faut savoir que légalement, l’origine d’un produit dépend du pourcentage d’ouvraisons effectuées sur ce produit sur un territoire. On lit ainsi parfois des mentions telles que « Assemblé en Europe ». Je vais encore grandement schématiser, mais envisageons un produit électrique importé en vrac de Chine, qu’on met dans une boite en carton en Turquie, y ajoutant un câble supplémentaire : de l’obligatoire « fabriqué en Chine », le législateur autorise l’importateur à se limiter à « assemblé en Europe ». Mais assemblé ne veut pas dire fabriqué, et il revient au consommateur de se douter que, par essence, le produit ou ses composants viennent d’Asie du Sud Est. Allons, allons. Un peu de bon sens.

 

Happé par ce maelström, le chaland, pour peu qu’il le maitrise, en perd son latin. On pourrait croire qu’il suffit alors d’avoir une démarche exclusive, refusant telle gamme de produits, partant du principe qu’elle est probablement fabriquée en Chine. A ceux-ci, dont je salue le jusqu’au-boutisme, même si il me parait absurde, je souhaite bonne chance. Car il faut savoir que la plupart des produits non-alimentaires que l’on retrouve broché dans les rayons des supermarchés sont made in China : jouets, électroménager, informatique, audio-vidéo, vaisselle et ustensiles de cuisine, linges de maison, vêtements –avec toutefois pour ces derniers, une prépondérance de l’Asie du Sud : Pakistan, Bangladesh…-.

 

D’autres, plus circonspects, vont privilégier la marque, dont la renommée résonne en gage d’une fabrication occidentale. C’est un leurre. Rien qu’à Suzhou, Philips dispose de deux ou trois chaînes de fabrication. Dell, Acer et Epson ont des centres de production à un jet de pierre. Quand je me rends à Shanghai, je croise une usine Pioneer sur l’autoroute. Bosch et Black & Decker fabriquent en Chine. Il y a quelques années, alors que je vivais en France, j’avais tenté de séduire un chef de magasin avec mes produits made in China. Il préférait, européanisme oblige, acquérir des articles équivalents auprès de Calor. Il m’avait suffi de lui prouver que Calor et moi-même produisions tous deux en Chine : la seule différence, c’était la marque, et en conséquence, le prix. Je visite très souvent des usines chinoises, et c’est toujours avec un petit sourire que je découvre, sur les étagères de leurs showrooms, des produits estampillés par une grande marque européenne, mais fabriqués dans cette usine. Et toutes les marques renommées de l’électroménager, que ce soit pour des produits blancs ou bruns, ont délocalisé dans l’Empire du Milieu.

 

Si vous souhaitez acheter une cafetière ou un aspirateur français, faites les antiquaires.

L’achat de produits chinois est inévitable.

Je vous l’ai dis : l’invasion a déjà commencé.

Allons, allons. Un peu de bon sens.

NdA : A la destination ironique de ceux qui craignent la dangerosité des produits chinois, j'ai garni l'article de clichés pris dans un cimetière. Allons, allons. Un peu de bon sens : aux lecteurs qui estiment qu'on ne peut pas rire de la mort, je répondrais qu'elle ne se prive pas, elle. 

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2 août 2008 6 02 /08 /août /2008 13:12


Depuis les émeutes à Lhassa, je ne cesse de me répéter que je ne peux passer sous silence cette oppression, dans un pays qui, paradoxalement, accueillera bientôt l'évènement sportif le plus universel qui soit, et dont le principe reste la fraternité entre les peuples. Vivant à trois mille kilomètres du Tibet, et ayant croisé, en cinq ans en Chine, moins de dix tibétains, il me paraissait impossible de baser un article sur mon vécu, alors que c'est le principe même du blog. Je ne m'étais par ailleurs jamais vraiment intéressé au Tibet, et ne peut, encore actuellement, prétendre à aucune expertise.


 

 

Involontairement, Cai Li m'a donné la première substance de l'article, et pour des raisons peu flatteuses : Cai Li est chinoise, et lors de discussions politiques, cela donne lieu à des scènes de ménage au solde desquelles nous restons campés sur nos positions : c'est un dialogue de sourds.


 

Et puis, depuis les émeutes en mars dernier, la situation a considérablement évolué. Nous en connaissons tous, à travers l'actualité, les conséquences sur le relais de la flamme olympique, le boycott de Carrefour en Chine, etc... Et quand on est étranger en Chine, et plus particulièrement français, tout ceci a des répercussions et génère des interrogations au quotidien.

  A travers cet article, je souhaite relater ces questionnements, depuis les émeutes tibétaines, jusqu'aux contestations parisiennes, à quelques jours des jeux olympiques. Comment les choses sont-elles ressenties par les chinois ? Quelle est la compréhension occidentale ? Comment les gouvernements et les médias véhiculent-ils ces évènements ? Quelles en sont les conséquences pour les étrangers ? 

La rédaction de cet article n’a aucun objectif politique, même si j'ai mes opinions, qu'elles plaisent ou non. Et en aucun cas, je ne prétends édicter des vérités. Vos commentaires sont les bienvenues : la confrontation courtoise de nos points de vue permettra d'élargir notre champ de compréhension.
 

1°/ Printemps meurtrier :

 

Samedi quinze mars, sur un fond de jazz, je me connecte aux sites d'informations en sirotant mon café. J'apprends alors les violences ayant commencé la veille au Tibet. De la détente agréable que constituait ce démarrage de week-end, je suis passé à la tristesse la plus noire. J'ai passé la matinée à surfer, espérant lire les récits d'étrangers sur place. C'était le black-out, et j'ai du me contenter des dépêches rachitiques des agences répétant qu'elles ne savaient rien, mais que ça allait mal.

 

Cai Li n'était pas avec moi : comme tous les jours, elle s'était levée à six heures pour ouvrir son magasin. Vers midi, je l'ai rejoint pour déjeuner. Sur mon scooter électrique, taraudé par ces violences, je n'arrivais à m'extraire de ce cauchemar se déroulant, certes à trois mille kilomètres, mais dans le pays dans lequel je vis. Le ciel bleu, le soleil radieux, et l'atmosphère printanière de Suzhou m'apparaissaient complètement décalés en regard de la situation au Pays des Neiges, glaçante aux tripes. 

 

Cai Li m'a accueilli à la porte du point de vente, souriante de voir que les chalands affluaient. Son employée a gardé le magasin, le temps que nous déjeunions. Déambulant sur le trottoir, à l'ombre des frondaisons du printemps retrouvé, je lui ai demandé si elle était au courant de ce qui se déroulait. Elle n'en savait rien, n'ayant pas suivi les infos, et préférait évoquer l'augmentation du chiffre d'affaires de son bouclard, plutôt que de celle du taux d'adrénaline de ceux qu'ici on appelle "les séparatistes".

 

Le repas a laissé une saveur amère. Par une si jolie journée, elle ne comprenait pas que je fasse référence aux émeutes, alors que je pouvais profiter d'une balade dans un jardin de Suzhou. C'était plus fort que moi : je ne pouvais les chasser de ma tête. Ce jour-là, je ne savais m'en tenir qu'au fait que l'armée chinoise réglait à balles réelles le compte de prétendants à l'indépendance. Cette information s'est révélée moins simpliste quelques jours plus tard. Répéter à Cai Li que les soldats de son pays abattaient des civils sur ordre gouvernemental n'a suscité que soupires : elle ne voulait pas l'évoquer, essentiellement par crainte que nous dérapions vers une violence verbale en public.

 

Alors que Cai Li retournait à son comptoir, je me ruais sur l'Internet afin d'en comprendre plus sur une situation à laquelle j'étais étranger. Je n'ai eu de cesse, dans les jours suivants, de poursuivre mes investigations. Comme à l'accoutumée, s'informer en Chine relève tant de l'exploit que des tribunaux. Les choses se sont précisées dans la semaine, et j'ai cru comprendre alors que, du fait d'une histoire partagée avec la Chine, les tibétains ne souhaitaient pas foncièrement leur indépendance, mais leur reconnaissance culturelle. Dans tous les cas, les évènements, à Lhassa comme dans les provinces voisines, dévoilent clairement la politique du gouvernement en la matière. Et le plus incroyable, vu depuis l’Occident, c'est que la population chinoise cautionne ses actions.


 

2°/ Tibète or not Tibète, dat iz ze kouèchtieune :

 

Il existe une cinquantaine d'ethnies en Chine. Les Hans constituent neuf dixième de la population, et les ethnies les moins nombreuses recensent quelques milliers d'individus. Toutes son fédérées par la territorialité, et la langue, le mandarin. Même si le mandarin est l'idiome officiel, il existe quantité de dialectes, très communément usités pour communiquer. Et en campagne, il n'est pas rare de croiser des gens qui ne parlent pas mandarin. La proximité de certains dialectes avec le mandarin permet de les comprendre. Et l'écriture, pour la plupart, est la même. Malgré tout, il existe une mosaïque de langages et de cultures.

 




D'après ma maigre compréhension de la situation, et malgré le simplisme des informations relayées, la plupart des tibétains ne souhaitent pas leur indépendance, mais vivre en accord avec leur culture. La religion reste le fondement d'une existence tibétaine, où l'enrichissement est banni. Pour un Han, la réussite est une nécessité sociale. Dans ces appropriations culturelles diagonales, l'affrontement est inévitable. Les chinois croient en l'argent, et poussent naturellement les tibétains à s'enrichir, alors que ceux-ci, par essence, rejettent le profit. Et la religion étant accessoire pour les Hans, ils étouffent toute velléité spirituelle tibétaine, détruisant les temples, et emprisonnant les moines. Pour se justifier, les chinois brandissent l'expansion au Tibet, expliquant ainsi que leur démarche est faite pour le bien des tibétains, même si c'est malgré leur volonté.




 

Les émeutiers du quatorze mars s'en sont pris à d’anodins tartempions chinois, les lynchant, en protestation de l'étouffement de leur besoin d'expression religieuse, et suite à l'arrestation massive de moines. Ces chinois n'étaient que des lampistes : il s'agissait certainement de gens très bien, qui n'avaient rien fais aux tibétains, et qui ont eu le malheur de se trouver là au mauvais moment. Mais comme souvent en Chine, le calme a été retrouvé au prix du sang.


En Chine, on peut revendiquer son appartenance, dès lors qu'elle ne rentre pas en confrontation avec le tronc commun. L'harmonie est un principe fondamental de la culture chinoise, qu'on ignore en Occident, et qui pourtant explique beaucoup de choses, même si ça n'est jamais le seul paramètre. Les chinois croient en l'harmonie, en un consensus social qui se doit d'être un modus vivendi suivi par l'intégralité de la population. Dès lors, dans l'esprit chinois, la vérité et la liberté n'ont plus d'importance : l'essentiel est de suivre une ligne directrice commune pour atteindre un bien être collégial. Et toute la population y adhère. Le gouvernement chinois, dans une certaine mesure, ne fait que répondre à cet impératif culturel. Et ici, on retrouve ce principe tout le temps :

 

Parfois, quand Cai Li regarde les informations télévisées, je lui fais quelques remarques, et l'invite à accéder aux médias occidentaux, pour qu'elle se forge son propre avis. Elle-même me rétorquera qu'elle risquerait de développer une analyse propre, et que cette idée la met mal à l'aise. Très directement, elle m'avoue qu'elle est beaucoup plus rassurée de penser la même chose que tout le monde, et que cela va dans le sens d'une harmonisation collective, concept social bien plus essentiel dans un quotidien chinois que la recherche de la vérité, ou que le droit à l'information ou à l'expression. A l'écouter, ces velléités individualistes sont des lubies occidentales, et il n'y a rien d'étonnant à ce que notre économie soit sur le déclin, car nous pensons avant tout à nous mêmes, sans aucun esprit d'équipe national.

 

De même, le cheminement des individus en Chine se doit d'être le même : au sortir de ses études, on trouve un travail, on rencontre quelqu'un, on l'épouse, on achète un appartement, et on fait un enfant. Dans cette existence jalonnée, se marier après trente ans est un manquement à la norme collective, qui peut amener à être montré du doigt. Et j'en ai connu des chinois qui, leur environnement estimant qu'ils avaient l'âge, décidaient de se marier à une date future précise... Alors qu'ils n'avaient encore rencontré personne : rentrer dans le moule de l'harmonie sociale est tant un besoin qu'un aboutissement. En Chine, c'est la correspondance au consensus social qui génère la reconnaissance et l'accession au bien-être. Alors qu'en Occident, l'individualité prime. Bref, en Chine, il est essentiel, pour être heureux, de ne pas faire de vague, et suivre la norme. Et tous les chinois s'y accordent. Toute personne ayant d'autres désirs, qu'ils soient légitimes ou non, est de facto marginalisée. On ne peut pas les juger : la vérité n’est pas universelle, mais culturelle.

 








Dans ce contexte, les Hans représentant 90% de la population, leurs valeurs prévalent. Connaissant l'importance, à l'échelle de la population, que revêt l'harmonie collective, celle-ci s'est immédiatement rangée derrière son gouvernement, appuyant fermement la purge tibétaine, dont les "séparatistes" souhaitaient briser cet équilibre consensuel, auquel pourtant tout le monde adhère, et pour lequel tous se battent au quotidien pour atteindre l'objectif suprême : l'harmonie totale. A mon sens, qui n'a pas connaissance de cette exception culturelle chinoise peut difficilement analyser la situation dans sa globalité, au risque de diaboliser irréversiblement une population, la reléguant automatiquement aux heures les plus noires du fascisme.





 



D'ailleurs, les réactions chinoises ne se sont pas faites attendre : toutes soutenaient la politique du gouvernement en la matière. Ne lisant que bien piètrement le mandarin, Cai Li a relayé beaucoup de découvertes sur les forums nationaux, où les internautes chinois faisaient montre d'une violence verbale telle à l'égard des émeutiers, qu'ils donnaient l'impression de vouloir prendre les armes. Et certains commentaires donnaient froid dans le dos, leurs rédacteurs détaillant la façon dont il fallait tuer les contestataires, évoquant par écrit des tortures abominables.


Appréhender cette nécessité essentielle qu'ont les chinois d'habiter le meilleur des mondes, avec des valeurs idoines pour tous, aide à comprendre leur comportement. Pour autant, quand on est occidental, qu'on croit en la liberté individuelle et à l'expression totale, s'approprier cette démarche est, dans mon cas, impossible et douloureux. A son paroxysme délirant, c'est espérer un univers de clones, alors que je pars plutôt du principe que ce sont les différences qui créent les richesses humaines.

 

En s'insurgeant à la veille des jeux olympiques, les protestants ont choisi leur moment : le monde a le regard tourné vers la Chine. La réaction occidentale ne s'est pas faite attendre. Dans un contexte de mondialisation où les courbettes au géant chinois sont incontournables, ces manifestations ne sont pas venues des dirigeants, bien mal à l'aise pour d'évidentes raisons économiques, mais de l'opinion publique.

 

3°/ Réponse de normand, où la réaction étatique occidentale :

 

Depuis treize ans que je travaille avec la Chine, je reste étonné du revirement médiatique total dont elle a bénéficié en Occident. Auparavant, l'Empire du Milieu était virulemment dénoncé : c'était la pire des tyrannies, où les exécutions conféraient à l'abattage, et où une population pauvre était opprimée. Ensuite, la Chine est devenue le démon asiatique qui détruisait des pans entiers de l'économie occidentale, au profit du montage d'usines sur son territoire. Et depuis quelques années, la presse avait complètement changé de discours, glorifiant le miracle économique : la Chine était devenue mode. Deci delà, on voyait sporadiquement éclore et disparaître une dépêche dénonçant le non-respect des droits de l'Homme, les trafics divers, ou la contrefaçon. Mais globalement, la presse internationale se félicitait du succès exponentiel chinois. Les émeutes tibétaines et l'approche des jeux ont réveillé de vieux démons.


   

L'avis de la France me touche particulièrement, et on a assisté à des dérapages superbes et loufoques avant et après ces évènements. Prouvant ma démarche non partisane, j'en citerais deux, politiquement opposés : tout d'abord, Ségolène Royal, qui, dans un grand coup de pub préélectoral, est passée en Chine l'an dernier. S'inclinant comme tous devant le géant éveillé, elle avait osé déclarer que "la justice française ferait bien de s'inspirer de la justice chinoise". Je ne sais pas si c'est de l'ignorance, de la naïveté, ou l'opium, mais si elle avait tenu ces propos il y a dix ans, elle aurait immédiatement été fustigée. Etonnement, ses dires sont passés comme une lettre à la poste dans les médias, qui ont préféré retenir son néologisme démago de "bravitude", qui ne veut rien dire, mais qui fait cool. Tout le monde avait semble-t-il oublié que la justice en Chine est une vue de l'esprit : le pays s'enorgueillit du plus funeste palmarès de condamnations à mort, et les jugements rendus sont expéditifs et arbitraires. Républicaine et pourtant Royal, Ségolène aurait du prendre de l'altitude plutôt que de la bravitude avant de proférer de telles abominations : la théine a du lui monter au crâne.

 

Le deuxième dérapage est celui de Nicolas Sarkozy, venu en Chine après son élection pour serrer la main à son homologue ocre, et lui faire sortir son portefeuille. En V.R.P. et V.I.P., il a rapporté dans ses bagages des commandes colossales pour les industries européennes, d'un montant de vingt milliards d'euros. Et quand les évènements du Tibet se sont déroulés, le fondement entre deux sièges, il a eu bien du mal à prendre position, par peur de l'influence que cela pourrait avoir sur le chiffre d'affaires communautaire. La condamnation à peine suggérée de l'Europe en est le reflet parfait : ses gouvernants "ont appelé Pékin à la retenue", pendant qu'on tirait à balle réelle sur les citoyens : bâton merdeux. Sarkozy, face aux pressions populaires, après avoir fais la sourde oreille, avec la maestria qui l'a boulonné sur son trône, a déclaré : "si il y a reprise de dialogue avec le Dalaï Lama, j'irais à la cérémonie d'ouverture". De qui se moque-t-on ? Qui, en Occident comme en Chine, peut croire que les autorités chinoises ont fait durer cette situation ? Dans les semaines qui ont suivi, le Tibet a été purgé, avec une violence froide et rapide : à l'ouverture des jeux, elle ne sera plus qu'un souvenir, tout en restant sous surveillance. Et comme dans les médias, on ne parle plus du Tibet, Sarkozy peut se permettre de confirmer qu'il sera dans les tribunes lors de la cérémonie d'ouverture.

 

D'une Chine encensée, on est repassé à une Chine diabolisée, sans pouvoir plus la dénoncer d'état à état, au su des enjeux économiques internationaux. Economiquement, on ne peut plus vivre sans, et humainement, il va falloir faire avec.



 

Même si les réactions du peuple occidental, descendant dans la rue, tentant de souffler le feu olympique, sont fondées dès lors qu'une armée tue des civils, se fait-elle pour autant en connaissance de cause ? De ce que j'ai pu voir sur Internet, de nombreux partisans affichaient des banderoles "Tibet libre", dénonçant le manque d'indépendance du Pays des Neiges, alors que, si on pose la question aux intéressés, ceux-ci la revendiquent peu. Ce qu'ils souhaitent simplement, c'est exprimer leur culture et leur religion. Si on doit proclamer l'indépendance d'un territoire sous prétexte que quelques uns souhaitent l'autonomie, les français vont devoir penser à se défaire de la Corse.


Voir la façon dont le passage chaotique de la flamme à Paris a été relayé dans les médias chinois avait de quoi étonner. Sachant que l'information est contrôlée, CCTV, la chaîne d'état, dévoilait quelques manifestants, mais s'est surtout fait fort d'interviewer des français portant un drapeau chinois, et qui répétaient qu'ils fêtaient les jeux, et que le reste ils s'en foutaient : le Tibet, ça regarde le gouvernement.


Pour dénoncer les manifestations, la chaîne a aussi canonisée Jin Jing, escrimeuse chinoise et handicapée, qui portait la flamme, et avait été chahutée par les contestataires. Rapidement, la petite Jin Jing est devenue une héroïne nationale, et l'ambassadeur français en Chine l'a visité, lui proclamant ses excuses et son soutien, histoire de désamorcer une bombe qui, de toutes façons, avait déjà explosé.

 

Et quand la flamme à été allumée en Grèce, ça a été le black-out : un montage en différé a effacé purement et simplement la tentative de perturbation des gens de Reporters Sans Frontières. Les chinois ne savent pas que c'est arrivé !

 

Ces manifestations européennes répondent à un besoin historique de défendre la liberté, sans faire le moindre calcul économique. J'approuve cette démarche spontanée, trop triste que je suis de savoir ce qui se déroule au Tibet. Mais d'une part, celles-ci ont eu lieu dans une méconnaissance culturelle du problème. Et d'autre part, elles positionnent délicatement les gouvernants occidentaux, entre leurs concepts démocratiques fondateurs, et la réalité économique mondiale, où la Chine est inévitable : dilemme.


 
  

4°/ Vendetta à la chinoise :

 

Le patriotisme est une valeur fondamentale chez les chinois, alors qu'en Europe, le concept est pour ainsi dire suranné. Il faut dire que la démagogie girouettienne et électoraliste de nos politiques n'incite pas à la ferveur nationale. Et c'est un euphémisme.

 

On est fier d'être chinois, et on le montre. J'étais à Pékin en mai dernier, et y ai croisé plusieurs locaux qui arboraient un tee shirt indiquant, en anglais que "le Tibet fera toujours partie de la Chine". Il s'agissait de jeunes ayant certainement fait des études, et qui souhaitaient montrer leur soutien et leur foi en des valeurs nationales. Tout ceci est ici normal, puisque les chinois considèrent le Tibet comme partie intégrante du territoire, que l'unité nationale, pour faire de la Chine le plus grand pays du monde, est un impératif, et que l'atteinte de cet objectif passe par la pacification : tout le monde doit aller dans le même sens, et il est logique d'éliminer ceux qui obstruent l'effort collectif.

 







La cohésion populaire chinoise n'a jamais autant culminé qu'après le relais accidenté de la torche à Paris. Les forums recensaient autant de commentaires dénonçant la capacité de l'Occident à se mêler de problèmes intérieurs à la Chine, sa manipulation de l'information, ou son désir violent de saper les jeux, évènement dont la Chine entière s'enorgueillit. Pour ce qui est de la manipulation de l'information, même si elle existe en Occident, les chinois n'ont de leçon à donner à personne. C'est à se demander parfois si ils sont dupes... Au même titre que je reste étonné de la duperie française à croire en la véracité de nos médias.







 





Aussi, on a vu fleurir sur MSN, logiciel de messagerie très largement utilisé ici, des petits coeurs avec la mention "I love China" autour des pseudonymes : les chatteurs chinois exprimaient ainsi leur amour pour le pays. N'étant pas spécialement patriote, j'aurais préféré y lire "One world, one dream", le leitmotiv de jeux, qui me parait plus universel, plus fraternel, et moins partisan. Je ne suis pas théoricien du complot, mais j'avoue m'être interrogé : cette mode des petits coeurs, au su de son ampleur, s'agissait-il d'une manipulation, ou d'un acte isolé ayant connu un embrasement national ?


La situation commençait à devenir palpable, et pas uniquement sur la toile. Dans la rue, les voitures arboraient des petits drapeaux chinois aux rétroviseurs. Même si il arrivait de voir cela auparavant, ou bien des autocollants sur les portières présentant le même drapeau, cette mode ne s'était jamais autant répandue qu'après le chaos parisien.

 

La prochaine étape des patriotes chinois a été de s'attaquer aux intérêts français en Chine. Et ils ont pensé directement à Carrefour, très présent sur le territoire. On a entendu des rumeurs de soutien financier au régime de Darhamsala en provenance du directoire du groupe, avérées ou non. Des manifestations ont eu lieu devant les magasins, et à ma connaissance, la plupart se sont déroulées dans la paix. A Wuhan uniquement, des drapeaux français ont été maculés de croix gammées, identifiant publiquement Jeanne D’Arc comme étant une prostituée. Des messages, par email ou SMS, invitaient les consommateurs à boycotter Carrefour, avec une échéance particulière au premier mai. Le résultat, c'est que faire ses courses était devenu un plaisir : des rayons désertés, et des files d'attente aux caisses inexistantes. Quelques manifestations sporadiques ont eu lieu aussi devant l'ambassade de France à Pékin, mais c'est à peu près tout.

 

A un niveau plus douloureux, sans que l'information n'ait vraiment été officielle, la France a été effacée des destinations touristiques proposées par les agences de voyage chinoises. L'Elysée a fait la moue, sans plus, et on n'en a plus entendu parler. Sept cent mille touristes chinois étaient tout de même attendus cette année en France.


 

5°/ L'expat parano :

 

Dès lors, la plupart des français en Chine s'accordaient à ne pas apprécier la tournure des évènements. Car auparavant, être français était bien vu. Nous avions bénéficié des années croisées France - Chine, et aussi d'une politique commune quant à la non-intervention en Irak. La France restait la contrée du romantisme, de l'art, de la haute couture, et des cosmétiques. Bref, nous étions les meilleurs amis du monde, et tout venait de s'effondrer.

 

Certains cédèrent à la paranoïa, avec des craintes quant à leur visa, voire à leur sécurité. De manière générale, les médias français ont relaté une réalité complètement différente du quotidien authentique d'un français en Chine. Et il est clair que si on se contentait de croire ce qui y était écrit, on ne sortait plus de chez soi ! Le moindre petit incident, aussi anecdotique fut-il, était monté en épingle de manière délirante : c'est l'évènementiel qui fait vendre, et sans évènement, il n'y a pas d'information.

 

On a vu par exemple se répandre sur Internet les clichés d'un taxi chinois, à l'arrière duquel était écrit en chinois et en anglais : "interdit aux chiens et aux français". Le Web s'est enflammé, faisant de ce cas isolé une généralité nationale. Personnellement, je n'ai pas plus de difficultés à trouver un taxi depuis les évènements. Et les chauffeurs ne m’ont jamais fais descendre de leur véhicule, lorsque je répondais que j’étais français à leur invariable interrogation sur mon pays d’origine.










La seule fois où j'ai été confronté à ce boycott à la chinoise remonte à quelques jours seulement. Dans le cadre de mon travail, j'avais envoyé un email à une usine, souhaitant obtenir des informations sur des produits qui intéressaient un client. En retour, j'ai reçu une réponse polie, m'indiquant simplement : "désolé, mais vous êtes français, et pour des raisons que tout le monde connaît, nous nous interdisons de travailler avec des français. Bonne journée". Voilà. Fin de l'histoire. J'ai été un peu surpris, car c'est la première fois que ça m'arrivait. Il serait facile de monter cette histoire au pilori, dès lors qu'on ne sait pas que des usines chinoises, j'en contacte des centaines par semaine.








Malgré tout, il faut l'admettre, même si il ne s'agit que d'un bref échange d'emails, qui ne prête à aucune conséquence, j'en suis ressorti avec un sentiment de malaise. C'est très dur d'avoir choisi de vivre dans un pays, de l'aimer, et pourtant de s'y sentir parfois toléré... Particulièrement dès lors qu'on a aucune responsabilité et prise sur les évènements. Au même titre qu'au quinze mars, c'était dur de continuer à aimer la Chine, de ne pas diaboliser l'intégralité de sa population dans un racisme manichéen, connaissant ce qui avait commencé à se dérouler, dans le sang, la veille, au Tibet.

 

Même si il n'y a pas eu de panique de la part de la diaspora française en Chine, il y a tout de même, depuis ces évènements, une volonté de déambuler profil bas et de se faire remarquer le moins possible. Ici, la police a tous les pouvoirs, et en cas de problème, si elle décide de vous créer des ennuis, vous n'aurez qu'à vous soumettre.

 

Dans le même quartier de Hutong à Pékin où je m'étais rendu en mai, il y a un restaurant tibétain, où j'ai d'ailleurs fais des découvertes gastronomiques toutes aussi étonnantes que merveilleuses. Les incidents parisiens remontant à quelques semaines, quand la serveuse tibétaine a appris que j'étais français, j'ai eu droit à un traitement de faveur empli de reconnaissance, alors que je n'y étais pour rien : je n'étais pas en France lors du passage de la torche, et si j'y avais été, je ne serais pas allé manifester. A l'occasion de ce dîner tibéto pékinois, je n'ai rien eu contre : mon appartenance française m'a valu la gratuité de quelques mets, et des sourires exubérants de gratitude de la part d'une serveuse rayonnante : la situation n'a pas généré que des inconvénients !

 

6°/ One country, one nightmare :

 

Ce besoin de se faire tout petit quand on est étranger en Chine est récent. Il a été entériné par une politique d'écrémage du nombre d'expatriés : c'est une première ici. Car en vue des jeux olympiques, les autorités chinoises ont souhaité faire le ménage. Ca aussi, on l'a peu relayé dans les médias occidentaux. Car relater qu'avant les jeux olympiques, les chinois renvoient les étrangers chez eux, c'est faire mauvaise presse. Le prix des visas est devenu exorbitant, et leur obtention bien moins automatique. Depuis quelques mois, on ne peut plus passer la frontière à Hong Kong pour se refaire un visa business de six mois : il faut obligatoirement rentrer dans son pays. Depuis juillet, il n'est plus possible du tout d'obtenir un visa business, où que ce soit en Occident. Il faut savoir que nombreux étaient les étrangers vivant en Chine depuis des années, sans permis de résidence : ils n'avaient qu'à descendre tous les six mois à Hong Kong pour se refaire un visa business qu'on leur accordait automatiquement. Rester ad vitam eternaem sur le territoire chinois n'avait jamais posé le moindre problème.

 


Certes, les lois concernant l'immigration existaient, mais elles n'étaient jamais appliquées. Elles le sont depuis, et ont été aménagées pour être encore plus drastiques. Certes aussi, depuis trois ans, le nombre d'immigrants occidentaux a explosé. Certes encore une fois, la moyenne d'âge s'est très sensiblement rajeunie, et on a vu débarquer nombre d'européens en échec professionnel dans leur pays, qui n'avaient rien à perdre, venant ici se confronter à l'eldorado potentiel. Et certes pour finir, beaucoup d'étrangers croyaient bénéficier d'une impunité, ne vivant plus chez eux, leurs valeurs et leurs règles ne s'appliquant plus dans ce nouvel environnement.

 

Et depuis quelques mois, toutes les semaines, on serre définitivement la main d'expatriés qui n'ont plus d'autre choix que de rentrer dans leur pays. Systématiquement, la raison de leur retour est la même : un visa qui ne peut être reconduit. Alors c'est eux qui le sont, mais à la frontière. Les bars et restaurants fréquentés par les étrangers se désertifient, et quand on demande des nouvelles d'untel, s'étonnant de ne pas l'avoir croisé depuis un bail, on apprend qu'il a du quitter le territoire.

 











Même obtenir un visa touristique durant la période des jeux renvoie à Kafka. Et il a bien été spécifié par les autorités que disposer d'un billet pour ces jeux n'impliquait pas l'obtention d'un visa... Alors qu'au préalable, celle-ci était plus qu'aisée. La Chine justifie aussi tout cela par peur du terrorisme. Il ne faut pas comprendre par "terrorisme" l'arrivée massive de barbus explosifs, mais plutôt celle d'Amnesty International... Même si le terrorisme existe en Chine, ce n’est certainement pas la plus grande crainte de l’état. Il ne faut pas de perturbation. Il faut l'harmonie. Bienvenue au Village.







 

On a assisté aussi à une intervention policière musclée dans le quartier des expatriés à Pékin, il y a peut-être deux mois maintenant. Sur le fond, celle-ci était complètement justifiée, car il était de notoriété publique qu'un trafic de drogue y sévissait, à proximité du lycée français, dirigé par des étrangers. Sur la forme par contre, elle reste condamnable, car les arrestations ont été violentes, et les français arrêtés, même si ils n'avaient rien à voir avec le trafic en question, ont été victimes d'humiliation au commissariat. Ce genre d'interpellations d'étrangers n'étaient jamais arrivée, et il ne faut pas se leurrer : c'est arrivé à San Li Tun, quartier réputé où siègent les ambassades ; le reality show de l'évènement a été diffusé sur les chaînes de télé, comme orchestré ; et il est clair que cela fait partie d'une politique d'intimidation, pour mettre en garde les étrangers.


Au rang des rumeurs, un de mes amis m'a rapporté qu'une de ses connaissances rentrait récemment d'un voyage à Pékin, et ce qu'il y avait vu l'avait estomaqué : présence policière et militaire totale, armement lourd disposé aux endroits stratégiques de la ville, et, paraîtrait-il, des hôtels qui accusent une baisse de fréquentation, durant la période des jeux, de l'ordre de 40%. Que ces rumeurs soient véridiques ou non n'a pas grande importance. Ce qui est important, c'est que si elles ne sont pas authentiques, elles donnent une idée précise de l'angoisse ambiante.

 

La crainte comme la sécurité s'incrémentent, et même si le Tibet a apporté une justification à la politique sécuritaire chinoise, tout ceci était prévu de longue date dans le cadre de l'organisation des jeux. Et ce qu'on se limite à relater dans les médias occidentaux, ce sont les règles d'accueil aux étrangers : ne pas cracher dans la rue, etc... Car c'est folklorique, et montre les efforts, réels, mis en place.

 

Les jeux olympiques sont un évènement international célébrant l'amitié entre les peuples et les cultures... Mais les chinois ont envie de les fêter entre eux !


 

7°/ Pour ou contre les jeux ?

 

Au préalable des émeutes de Lhassa, j'étais un fervent défenseur des jeux olympiques à Pékin. Le pays s'est enlisé dans une pauvreté inconcevable, et les chinois s'en sortent à force d'un travail acharné, tout aussi inconcevable depuis l'Occident. Ces jeux, c'était une reconnaissance de leurs efforts colossaux, afin de les stimuler pour l'avenir, et de les rapprocher du reste du monde, auquel ils ne se sont ouverts que récemment. Pour moi, ces jeux, ils ne les avaient pas volés.

 

Quelques mois plus tard, mon sentiment est beaucoup plus réservé.

 

J'en ai marre de me taire, vit dans un environnement essentiellement chinois, où il est impossible d'en parler. Je ne vois aucun de mes compatriotes bloggueurs monter au front, préférant évoquer des sujets ne prêtant pas à conséquence. Vivre à l'étranger, ce n'est pas uniquement profiter de l'exotisme. C'est aussi appréhender une situation politique, sociale, économique, historique, culturelle. On ne peut pas y prendre uniquement ce qu'on aime, et rejeter le reste : c'est un lot, un tout, avec lequel on se doit de vivre au quotidien, ou rentrer. J'ai fais le choix de rester, mais pas celui de la fermer.

 

Et vous, qu'est-ce que vous en pensez ?

NdA : Je n'ai pas pu joindre de photos du Pays des Neiges, n'ayant jusqu'ici jamais eu la chance de m'y rendre. J'en ai profité pour saupoudrer l'article de clichés pris durant les intempéries extrêmes que nous avons connu ici cet hiver. Les chinois n'avaient pas vécu une telle rudesse depuis un demi-siècle, et certains d'entre eux, particulièrement superstitieux, y ont vu le démarrage d'un enchainement malchanceux, dont le dernier évènement en date est le terrible séisme du Sichuan. Les plus forcenés vont jusqu'à y voir une issue fatale pour les jeux olympiques.

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17 février 2008 7 17 /02 /février /2008 07:56

La scène qui suit est digne d’un angoissant thriller politique basé sur des fait réels dont les coulisses conspirationistes ne sont révélées que des décennies plus tard : le spectateur, l'échine frissonnante, sort de la projection abasourdi, réalisant qu'il vit dans un monde pourri. En publiant cet article, votre serviteur et rédacteur devient un hors-la-loi de la pire espèce, se soustrayant dans une verve terroriste aux obligations imposées par le gouvernement de son pays d’accueil. Monsieur le Président, si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes que je n'aurai pas d'armes, et qu'ils pourront tirer… Comme chantait Boris Vian.

 

La scène est relatée sous forme d'un script de film, telle que survenue, le vingt-deux janvier, en France, dans la maison parentale, alors que je devisais les blogs de mes compatriotes expatriés (cherchez pas la contrepèterie : il n'y en a pas).

 

Moteur.

Action.

 

INTERIEUR NUIT - UNE MAISON DANS LA CAMPAGNE FRANCAISE.

 

Christophe est assis derrière son PC, éclairé par la l’intimité de l'écran et une froide lampe de bureau. Il surfe sur le web avec une concentration apeurée. La caméra se rapproche en plan moyen sur son visage dans la fluidité d'un travelling kubrickien. Il semble mal à l'aise à la lecture de la page qu'il consulte. Une voix lointaine résonne soudainement, l'extirpant de sa torpeur méditative sur la toile.

 

CAI LI.

"柯林 !  !" ("Ke Lin ! A table !")

 

Depuis la salle à manger au rez-de-chaussée, sa fiancée chinoise vient de l'interpeller, sous le prétexte qu'il est temps de dîner, la véritable raison étant qu'elle a faim. Hochant la tête de droite à gauche pour reprendre ses esprits, Christophe murmure en retour de l'interpellation.

 

CHRISTOPHE (Ke Lin, c'est son nom chinois).

"来了" ("J'arrive... ")

 

Gros plan sur les yeux de Christophe, rivés à l'écran, ne semblant pas croire ce qu'il lit sur la page affichée par son navigateur. Il fronce les sourcils.

 

FONDU ENCHAINE.

 

Du regard de Christophe, nous passons à l'écran de l'ordinateur, dans un fondu bergmanien, où l'intensité du suspense mène le spectateur au bord de l'embolie. Sur l'écran défilent les mots suivants: "le site Over Blog interdit d'accès en Chine". Digne d'un Eric Sati sous LSD, la musique symphonique devient décalée, sans harmonie aucune, surenchérissant de grincements dépressifs. Très gros plan sur une larme de sueur perlant sur la tempe de Christophe, puis travelling arrière pour s'arrêter sur son profil apollonien.

 

CHRISTOPHE.

"Over Blog n'est plus accessible en Chine depuis le 19 janvier ? Comment vais-je écrire tous ces beaux articles pour le blog de l'expat ?" (idem: c'est déjà du français.)

 

Se massant la pointe du nez dans une mine renfrognée, serrant les mâchoires à s'en faire saigner les gencives, Christophe tente difficilement de reprendre ses esprits. On l'entend réfléchir en voix off.

 

CHRISTOPHE (voix off).

"C'est d'une injustice... Et c'est pourtant typiquement chinois ! Sans se soucier du travail, du temps, et de la passion des bloggers à témoigner de leur quotidien, on leur interdit d’écrire, par précaution, au cas où il y aurait une dissidence vis-à-vis du Parti, sans présélection."

 

Plan moyen sur Christophe, soupirant et continuant sa réflexion en se grattant le menton d'un index tremblotant. La voix off continue.

 

CHRISTOPHE (voix off).

"On est dans un roman d'Huxley. Après Wikipédia et Dailymotion, soit disant trop sensibles pour le gouvernement chinois, c'est au tour d'Over Blog d'être censuré, sous prétexte que les internautes peuvent s'y exprimer librement, et qu'on y évoque les évènements de Tiananmen, le Tibet, ou Mao."

 

La caméra tourbillonne, alors que la voix off souffle en écho des mots à la complémentarité terrifiante : "censure", "liberté", "interdiction", "expression", pour finir sur un fondu au noir de mauvais augure.

 

FONDU AU NOIR.

FONDU ECLAIRE.

INTERIEUR NUIT - SALLE A MANGER.

 

Christophe apparaît, debout, face à la table de la salle à manger, chez ses parents, où ceux-ci sont assis aux côtés de Cai Li, s'apprêtant à faire sa fête à un confit fumant. Son visage est blême, et de ses lèvres serrées n'arrive à tressauter, frissonnante, qu'une sentence de condamnation.

 

CHRISTOPHE.

"Mon blog est censuré en Chine".

 

Gros plan sur le père, soucieux et pourtant peu surpris, ayant l'habitude des conneries du fiston depuis l'adolescence, pleinement conscient de son tempérament libertaire qui lui a toujours fait préférer Brassens à Britney.

 

PERE DE CHRISTOPHE.

"Te voilà dans de beaux draps ! Qu'est-ce que tu as encore fais ?"

 

Gros plan sur le visage de la mère, qui a bien compris qu'il y a un problème, mais que la subtilité technologique laisse pantoise.

 

MERE DE CHRISTOPHE.

"C'est quoi un blog ?"

 

 

Gros plan sur Cai Li, la fiancée chinoise de Christophe, habituée à ne pas avoir le droit de s'exprimer autrement qu'en manifestant (seule chez elle, et pas dans la rue en groupe) son bonheur d'être née communiste.

 

CAI LI.

"请坐,菜要凉了" ("Viens t'asseoir, ça va refroidir.")

 

FONDU AU NOIR - FIN DE SEQUENCE.

 

Le dîner qui suivit aurait pu être relaté en plan séquence aux textes savamment distillés par une pléiade d'acteurs exceptionnels, à l'image d'un repas feutré au restaurant new-yorkais d'un Woody Allen sur fond de jazz. Mais ce n'est pas du cinéma. Ce n'est pas un thriller politique. Ce n'est pas une adaptation de Tom Clancy pour le grand écran: on n'est pas à la poursuite d'octobre rouge, mais c'est octobre rouge qui nous poursuit, constamment et partout, pour écraser toute velléité de s'informer ou de s'exprimer en toute liberté. Plutôt qu'une censure chirurgicale visant certains blogs anti-propagandistes, le gouvernement chinois préfère fermer l'accès à plus de sept cent mille blogs hébergés sur un seul serveur, en coupe sombre grossière, incluant ceux qui assurent la promotion de la pèche à la mouche, de l'O.M., ou du point de croix, dont les prétentions subversives échapperaient pourtant au plus chevronné des politologues.

 

Goebbels, pour peu qu’il n’ait pas le bras tendu, aurait applaudi des deux mains.

Ne riez pas, c'est très grave.

Je vis, par choix, dans un pays orwellien.

Ce pays orwellien compte vingt pour cent de la population mondiale.

Et ces vingt pour cent de la population mondiale ne frémissent même pas d'être sujets d'un pays orwellien.

L'équation est incompréhensible.

 

Comme à l'accoutumée dans le blog de l'expat, il n'est pas question de relater la situation liée à la censure de l'Internet en Chine, fort d'anecdotes qui n'auraient pas été vécues ou de chiffres empruntés à d'autres : paraphraser des articles trouvés sur la toile, et foncièrement mieux documentés sur le sujet, ne représente aucun intérêt. Qui souhaitera en savoir plus se connectera au site de Reporters Sans Frontières, aux piges des magazines informatiques en ligne, ou se promènera sur le web en tapant dans Google "censure Internet en Chine". Autopsions plutôt les raisons pour lesquelles, en Chine, la censure de l'Internet, et plus généralement de l'information, existe et perdure. L'approche du sujet se veut culturelle. En préambule, un bref état des lieux s'impose toutefois.

 

 

1 - La censure de l'Internet pour les nuls.

 

Quelques chiffres permettent de comprendre les craintes de Pékin : 12% de la population chinoise accède à Internet, et 19% d'entre elle alimente un blog. En plus de d'une fenêtre mondiale sur l'information, l'Internet permet de s'exprimer. Deux luxes qui ne sont pas du goût des autorités. Au même titre que la presse écrite, télévisée, et la radio, toutes sous contrôle, l'Internet est assujetti à une censure constante. Seule une quinzaine de pays à travers le monde pratique cette politique : l'état décide à quels site les citoyens ont le droit d'accéder. C'est ce que les anglophones ont intelligemment baptisé "the great firewall of China", en rapport avec "the great wall of China", soit, de Shakespeare à Molière, "la grande muraille de Chine" devenu "le grand pare-feu de Chine". Dès lors que les sites hébergés sur le web permettent de prendre connaissance d'une information qui ne correspond pas à la ligne directrice du Parti, ou bien qu'il s'agit d'un espace d'expression où le gouvernement n'a aucun pouvoir de rétorsion, ils sont tout simplement bloqués.

 

Depuis deux ans, Wikipédia est interdit. Car accéder à une encyclopédie, c'est atteindre le savoir, l'éducation, et la capacité de réflexion et d'analyse qui en découlent : or, réfléchir, c'est déjà désobéir. Ce portail gigantesque, aux millions d'articles traitant aussi bien de la trilogie de la Guerre des Etoiles que de la Bataille de Marignan, a dès lors été fermé d’accès en Chine Populaire, dans son intégralité. L'an dernier, Dailymotion a été interdit. Il s'agit-là d'une fenêtre facilement accessible, la vidéo étant un média plus immédiatement digestible que les écrits, dont certains pourraient, si on se place du point de vue du pouvoir chinois, être sujets à controverse. Par mesure de sécurité, le gouvernement a préféré la censurer intégralement. Là aussi, "la page demandée ne peut pas être affichée".

 

Les hébergeurs de blogs chinois sont surveillés de très près, et intimés de policer les articles et les commentaires suscités par ceux-ci. Il n'est pas rare, pour des posts sensibles, de voir des astérisques remplacer des phrases entières, polémiques aux yeux des dirigeants. Le blog est par définition l'espace d'expression le plus libre qui soit : il est alimenté en totale autonomie par son auteur, sur un support très facilement accessible par tout quidam équipé d'un PC et d'un modem, et ceux-ci, avec la même liberté, peuvent commenter de manière personnelle et instantanée.

 

Les services administratifs en charge du flicage de l'Internet sont nombreux, très bien organisés, très réactifs, comptant plusieurs dizaines de milliers de chemises noires passant leurs journées à cliquer pour débusquer l'internaute et l'hébergeur subversifs : Big Brother vous regarde. On a même vu apparaître, à Pékin, le dessin de deux petits policiers mignons avec leur minois de personnages de mangas en uniforme, sous forme de pop-up, invitant l'internaute à ne pas se connecter sur tel site illégal, ou à faire une recherche pernicieuse, dès lors que celui-ci cherche à s'informer, de façon complètement privée et libre, sur la toile : façon Walt Disney, Big Brother vous avertit.

 

Le futur de tout cela n'est a priori pas brillant, et Pékin, sous couvert de conserver son unité au pays, affiche son désir de limiter encore plus drastiquement l'accès, déjà sélectif, à Internet. On peut lire, aux détours des forums, que la prochaine grande censure concernerait Youtube, qui, dans le courant de l'année, ne serait plus accessible. Par principe, on peut considérer que, dès lors qu'un site offre, potentiellement, une surface libre d'information ou d'expression, il sera inaccessible à terme. Même les mastodontes du net, lobbies d'une puissance étatique en Occident, plient : Microsoft, Yahoo, ou Google, pour pouvoir être accessibles depuis l'Empire du Milieu, ont édulcoré le filtrage de leurs moteurs de recherche pour ne concentrer les résultats que sur ceux fidèles aux versions du PCC. Yahoo a été récemment décrié pour avoir facilité les investigations amenant à l'arrestation d'un journaliste chinois dissident. On parle ainsi d'une soixantaine de personnes enfermées dans les geôles chinoises, voyant le monde à travers une fenêtre à barreaux, d'avoir trop voulu le découvrir à travers une fenêtre Windows. Brig Brother vous avait prévenu.

 

Pourquoi cette situation ? Pour quelles raisons, politiques et culturelles, à l'orée de Jeux Olympiques polémiques, le gouvernement chinois ne change-t-il pas son fusil d'épaule ? Et puis, pourquoi la population ne réagit-elle pas ?

 

2 - L'ivresse du pouvoir : une constante chinoise.

 

La Chine a-t-elle jamais été un pays libre ? On entend, parfois, des néophytes s'exprimant grassement sur le sujet, prétendant que la Chine est une dictature depuis que Mao en a pris le pouvoir. En fait, cela ne remonte nullement à Mao, et a toujours existé. Je taquine parfois Cai Li, qui reste, par éducation, une fière camarade idolâtrique du grand timonier. Elle prétend que grâce à Mao, les chinois sont tous devenus égaux, ce qui n'existait pas sous l'empire, où la féodalité segmentait la population en gens de cour et en serfs. Avec un sourire, je lui réponds systématiquement qu'elle a raison : avant Mao, il y avait en Chine d'intolérables inégalités, car il y avait des gens riches et d'autres pauvres. Après Mao, le nivellement s'est opéré : tout le monde est devenu pauvre.

 

Le chinois, par principe juvénile, va jouir du pouvoir qu'il s'octroie. Toutes les situations sont prétextes à faire briller l'ego, et à écraser son environnement. Des exemples, j'en aurais des millions à donner, tant c'est ici flagrant : un conducteur de berline, à grand renforts de coups de klaxon, montrera son indéniable supériorité (il a réussi dans la vie : il a une grosse voiture) à tous les passants, ne laissant la priorité à aucun, considérant que son statut d'automobiliste capitaliste lui donne le droit d'utiliser la route avec plus d'emphase et de risques que quiconque. Au-delà d'un problème alarmant d'éducation basique, la tendance resquilleuse des chinois en est un autre stigmate : tête haute car attention-c'est-moi-que-v'là, un chinois mégalo ne va pas hésiter à aller à la tête d'une longue file d'attente, toisant les assujettis qui se rongent d'impatience, par plaisir de montrer que le pouvoir qu'il exerce lui permet de passer outre les règles de bienséance les plus simples. Pour un occidental, il passera pour un minable sans le moindre respect... Mais lui jouira de l'ivresse de son pouvoir : des gosses. Tous les jours, il faut se battre contre ces brimades futiles de primates qui se sont autoproclamés maîtres du monde, batifolant d'aise à promouvoir leur ego, malgré un quotient intellectuel guère plus élevé qu’un niveau de mercure dans un capillaire sibérien.

 

Dès lors, il n'y a pas de surprise à ce que les politiques s'arment de la même démarche vis-à-vis du peuple, et s'en gargarisent. Et rien de surprenant non plus à réaliser que les chinois, plus que de s'en accommoder, trouvent cela normal. En conséquence de quoi, en divinités élues au panthéon par elles-mêmes, les gouvernants créent l'information qui leur chante, et modèlisent les supports qui la véhicule comme bon leur semble. Et pour tout un peuple, c’est la normalité la plus banale. Ainsi, quand une information doit être relayée sur Internet, l'administration chinoise indique aux rédacteurs des sites où puiser l'information, en précisant de ne pas en utiliser d'autres, ou bien donne une liste de directives quant à la tonalité à privilégier dans la publication de celle-ci.

 

3 - La nécessité d'apparence : ne pas perdre la face.

 

Lié à cette jouissance du pouvoir, le besoin d'arborer une apparence indiscutable est un autre paramètre qui fait de la liberté de l'information une vue de l'esprit en Chine. Comme partout en Asie, il ne faut pas perdre la face. Dès lors, les informations sont retravaillées pour ne montrer que des aspects qui ne rendront pas le gouvernement critiquable, et qui, au contraire, assureront la promotion d'un pays où il fait bon vivre... Grâce à ses dirigeants.

 

La première année de mon expatriation, j'achetais régulièrement le China Daily, quotidien d'informations en langue anglaise. Un article m'avait marqué, complètement représentatif, tant du bourrage de crâne que du foutage de gueule que constitue la presse chinoise. Sur une page complète, on évoquait les efforts faits par le gouvernement de Nanjing pour freiner la vente de DVD pirates. Dans l'article, avec une fierté bien légitime, la police de Nanjing annonçait la destruction de dix mille galettes pirates. Pour se féliciter de cette prouesse, le canard affichait le cliché d'un rouleau compresseur écrasant les jaquettes répandues sur le béton d'une ruelle.

 

 

La lecture de l'article m'avait occasionné un étouffement : de qui se moquait-on ? Les DVD pirates, en Chine, ne se vendent pas sous le manteau, auprès de dealers qui en refourguent entre deux doses de cracks, et qu'il faut payer discrètement sous peine d'avaler un coup de couteau. La piraterie de films n'est pas un épiphénomène anecdotique difficilement débusquable... Mais une véritable industrie ! Les magasins de DVD, il y en a des centaines dans chaque ville de taille moyenne (à l'échelle chinoise : aux alentours de cinq millions d'habitants). Ces magasins ont pignon sur rue, dans des artères commerçantes reconnues et passagères, et disposent d'enseignes qui indiquent sur l'extérieur le type de marchandises commercialisé. Le moindre de ces points de vente est mieux approvisionné en toiles, séries, ou concerts, que le Virgin Megastore d'une capitale européenne. Et chacun recense bien plus de dix mille DVD dans leurs bacs. Il y en a tant, de ces magasins emplis de galettes du sol au plafond, qu'il est évident qu'ils se fournissent auprès de grossistes qui eux aussi ont pignon sur rue, les achetant eux-mêmes, non pas à des petits artisans qui gravent la nuit sur leur PC, mais à de véritables usines qui doivent avoir des centaines, si ce n’est des milliers d'ouvriers qui bossent en automates sur les chaînes de production. La difficulté, en Chine, n'est pas d'obtenir des contrefaçons de film, mais au contraire, de savoir si il existe des pressages authentiques ! Avec le toupet qu'on leur reconnaît, parfaitement à l'image de la mauvaise foi sans bornes qui habite les avides de pouvoir ne souhaitant perdre face, dans cet article du China Daily, on évoquait la mise au rebus de ces dix mille DVD comme un exploit hors norme, tendant à prouver que les autorités n'avaient rien à voir avec ce trafic culturel... Alors qu'en réalité, pour avoir tant de points de vente qui ont pignon sur rue, qui sont des commerces honnêtes, la police les cautionne !

 

On retrouve tout cela sur la toile. Et le gouvernement, par le biais de ses bureaux de propagande, n'hésite pas à indiquer que, pour de nombreux sujets, la seule source d'information autorisée est Xinhua, "la nouvelle Chine", l'organe de presse du Parti, équivalent diktat de l'AFP ou Reuters. La vérité est modélisée autant que nécessaire, du moment que les apparences sont sauves : l'un des objectifs du pouvoir, dans son contrôle de l'information, est de ne pas perdre la face.

 

4 - Un homme sur cinq bêle.

 

Le vingt-deux janvier, lorsque j'ai appris qu'Over-Blog n'était plus accessible en Chine, j'ai ressenti une injustice d'une intensité rarement atteinte sur l'échelle de Richter. Déboussolé par cette découverte, j'avais rejoins la table familiale, où mes parents et Cai Li m'attendaient pour dîner. Evidemment, le sujet qui a accommodé notre plat du jour fût la censure de l'Internet en Chine, ainsi que le droit de s'informer et celui de s'exprimer dans cette merveilleuse dictature. La réaction de Cai Li, alors qu'elle est citoyenne chinoise, fût autant révélatrice qu'édifiante. Quand je me suis demandé comme j'allais pouvoir continuer à alimenter mon blog, elle m'a d'abord demandé si j'avais écris des textes ne suivant pas la ligne de conduite fixée par le Parti. Dire que je ne m'étais pas fais le porte étendard du système est un euphémisme. En réponse à ce constat, elle a conclu que, par mesure de sécurité, je devrais fermer mon blog. Et elle a repris une bouchée de confit de canard, sans sourciller. Eberlué, j'ai avalé une gorgée de Sauternes.

 

Mon père, démocrate par principe, a réagi immédiatement, hochant l'index de gauche à droite en réponse négative à l'attention de sa belle-fille, lui faisant comprendre qu'on ne muselait pas aussi facilement le droit d'expression individuel. En tous cas, pas en France. Et, dans son anglais rapiécé, il lui expliqua qu'arrêter de s'exprimer librement, sous prétexte que le système l'ordonne, était le meilleur moyen de faire perdurer les agissements de ce système. Et c’est fièrement qu’il a poussé son fils à continuer à écrire. Cai Li, en bonne chinoise, s'en foutait. Malgré la gravité du thème, elle préférait profiter de son met périgourdin. Dans ses yeux, sans qu'elle ait à le formuler, j'ai lu ce qu'elle pensait : "vous n'êtes pas chinois, vous ne pouvez pas comprendre."

 

Et ils sont tous comme ça : des moutons. Pourquoi l'industrie chinoise est la plus contrefactrice au monde ? Ils n'innovent pas, ils suivent, partant du principe que si ça a déjà été fait par ailleurs, c'est que ça marche. Même si les deux exemples paraissent éloignés, ils sont tous deux symptômes flagrants d'un même comportement : on copie, on fait comme les autres, et, pour ce qui est de la liberté, on rentre dans le rang, comme tout le monde. Mon ami Gaojian, que je respecte hautement car il me paye une bière à chaque rencontre, me racontait, alors que nous dissertions des différences culturelles, la petite boutade suivante (citée dans son contexte, au comptoir d'un troquet local) :

 

"- Eh, Ke Lin ! Tu la connais celle du français, de l'allemand, et du chinois qui sont à bord du Titanic ?

- Euh, non Gaojian. Je ne la connais pas.

- Alors, c'est un français, un allemand, et un chinois qui sont à la poupe du Titanic, alors qu'il est en train de couler. Le personnel de bord pousse les passagers à sauter dans l'eau, par peur qu'ils soient happés par l'épave.

- Hin hin. Gloups." précisa Ke Lin en reprenant une gorgée de Tsingtao fraîche.

"- Le steward s'adresse d'abord au français, lui disant qu'il devrait sauter dans l'eau, parce que c'est très romantique !

- Ouais. Ok.

- Et le français saute ! Ensuite, il s'adresse à l'allemand, en lui expliquant que statistiquement, c'est la plus sure façon de s'en sortir.

- Je vois, d'accord.

- Et l'allemand saute ! Alors pour finir, le steward va voir le chinois, et lui demande de sauter dans l'eau à son tour.

- Et qu'est-ce que le steward dit au chinois pour arriver à ses fins ?

- Que tout le monde saute à l'eau.... Le chinois ne se pose pas de questions, et saute à l'eau ! On est tous pareil ici : si quelqu'un fait quelque chose, tout le monde fait pareil."

 

Cette histoire est authentique (pas dans les faits, n'ayant rien lu de tels dans les témoignages des survivants du naufrage). Elle m'a été racontée par un chinois, en illustration rigolote d'un comportement typique de ses compatriotes.

 

Une autre histoire, toute aussi véritable, plus effroyable, rapportée par un ami de longue date vivant en Asie depuis vingt cinq ans. Il emploie une petite chinoise qui est tombée enceinte de son petit ami, sans jamais s'être mariée. Lors d'un passage chez son gynécologue, celui-ci lui annonça froidement qu'elle devait avorter. La réponse première de n'importe quelle occidentale normalement constituée aurait été : "Ah bon ? Pourquoi ?". Et la petite chinoise, dans sa naïveté culturelle, a directement demandé : "Ah bon ? Quand ?", sans se poser d'autres questions quant à la cause d'une mesure aussi définitive. Et sans jamais savoir quelle situation avait poussé le praticien a prendre de telles dispositions, elle se fit avorter dès que l'agenda de celui-ci le permit.

 

Rien de surprenant que pour un élément du quotidien qui ne soit pas lié au fait de se nourrir ou d’avoir un toit, telle que la liberté d'expression ou de s'informer, les chinois suivent aveuglément les desideratas forcés de leurs gouvernants. Pour un chinois, ne pas pouvoir critiquer le système, ou bien ne pas pouvoir accéder au savoir que renferme un site comme Wikipédia coule de source.

 

Les chinois sont très patriotes, et très fiers de leur pays, particulièrement dans la situation économique actuelle. Ils sont heureux de faire partie d'un collectif dont ils sont un maillon sacrifiable, apportant leur travail au bénéfice de tous. C'est aussi quelque chose sur lequel je taquine parfois Cai Li, car elle parle de "la Chine, mon pays", ce à quoi je lui réponds que la Chine n'appartient pas aux chinois, mais au PCC. "La Chine, le pays de mon gouvernement" serait plus humble et plus authentique. Bon nombres d'internautes ne savent même pas que seule une partie du web leur est accessible. Mais même ceux qui le savent s'en contrefoutent. Ce sont de moutons : c'est interdit, ah bon, très bien. C'est peut-être là qu'est le plus gros écueil, qui favorise la continuité du système.

 

5 - La libre expression est-elle un concept universel ?

 

Au risque de faire grincer des dents, il y a un bémol de taille à mettre au rang de l'exception culturelle. Je reste un démocrate convaincu; toutefois, nous avons une facilité déconcertante, et pourtant colonialiste, en Occident, à partir du principe que la liberté d'expression est un concept dont tous les peuples à travers le monde se sont faits un objectif, que nous l’avons atteint, et qu'il est de notre devoir d'aider toutes les populations qui ne peuvent s'exprimer librement.

 

Les paragraphes précédents ont pour souci primordial d'amener à la conclusion que les valeurs varient culturellement. L'ivresse du pouvoir, ou la nécessité de ne pas perdre la face sont des comportements rares en Europe, mais qui ici sont banals. En acceptant que chaque pays ait sa propre culture, la liberté d'expression reste-elle universelle ?

 

Où, à travers le monde, le droit d'expression reste-t-il aussi essentiel que celui de respirer ? Il n'y a qu'en Occident. Il est présent dans la constitution américaine, et dans la déclaration des droits de l'Homme. Pourquoi n'y a t il pas de texte embryonnaire ou approchant en Chine ou ailleurs ?

 

Malgré le joug d'un establishment qui lui impose une façon de penser, la population chinoise ne se rebelle pas, car elle ne sent pas que ses libertés fondamentales en soient bafouées. Au contraire, elle suit, revendique son passé révolutionnaire, même si elle n'est pas dupe, et connaît les imperfections du système. Mais elle comprend les raisons qui motivent ses actions, et même si celles-ci sont préjudiciables à quelques individus, elle adhère aux conséquences positives sur le collectif.

 

Le français est râleur au même titre que le chinois est mouton. Dans les sociétés occidentales, où revendiquer son individualité est louable, le droit d'expression est une conséquence qui coule de source : chaque personne est une unité pleine et entière, qui considère sa différenciation, et qui donc, pour la faire exister socialement, doit pouvoir la montrer en s'exprimant librement. Dans la société chinoise, l'individu n'est rien, et le bien-être collectif prime. Ce n'est pas une vue de l'esprit : c'est ainsi que les chinois fonctionnent. Dès lors, le droit d'expression n'est plus nécessaire, car les individus n'ont plus à revendiquer leur différenciation, mais à se conformer à une norme sociale reconnue de tous, pour faire partie d’un tout. Ce n’est pas en se différenciant, mais en faisant comme les autres, qu’il deviendra représentatif.

 

Je resterais occidental toute ma vie, quelle que soit mon implication en Chine. Et défendre mon droit à la parole est aussi évident que celui d'exister. Ma maigre expertise de cette culture, par essence si différente, m'interroge : en fustigeant le gouvernement chinois, et en souhaitant imposer la liberté d'expression en Chine (même en partant d'un bon sentiment), ne fait-on pas preuve d'une forme de colonialisme, souhaitant, sans le vouloir, soumettre une population à une méthode de pensée qui ne lui correspond pas ? Le concept de liberté d'expression est-il universel ? S'est-on posée la question primordiale, à savoir si ce besoin de liberté, purement occidental, est tout aussi essentiel en Extrême Orient ? Si c'était le cas, pourquoi ne s'est-il jamais manifesté ?

Pour conclure, sachant que je vis en Chine, que j'y alimente le blog de l'expat, que celui-ci est hébergé sur un serveur impossible d'accès depuis l'Empire du Milieu depuis le dix-neuf janvier, vous vous demandez peut-être comment j'ai pu publier cet article aujourd'hui. Il y a une solution technique : la connexion via un serveur proxy, qui rend la localisation d’un ordinateur complètement anonyme, et qui, par ce truchement, permet de se connecter à n'importe quel site à travers le monde... Sans laisser de traces. Pour exemple, vous pouvez tenter http://proxin.cn, http://proxiter.com, http://proxy.iandron.cn, et certainement bien d'autres. Ah oui, c’est bien évidemment illégal en Chine, le pays où tout est interdit, mais où tout reste possible (citation d’un ancien collègue chinois).

NdA : la plupart des clichés ci-dessus présentent nos personnes polémiques posant à côtés de grands de ce monde, internationalement reconnus pour leur promotion de la liberté. Ils ont été pris à Hong Kong, au musée de Madame Tussaud's, équivalent anglais de notre Grévin national.

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24 octobre 2007 3 24 /10 /octobre /2007 08:37
Ma nièce Julie, du haut de ses dix-sept ans, avec son bac en poche, est arrivée en Chine le 26 août avec pour objectif de passer un an à l'université de Suzhou afin d'étudier le mandarin. Bien évidemment, sa Tata et son Tonton (Cai Li et moi-même, donc) se sont expressément déplacés à l'aéroport de Shanghai pour l'accueillir.
 
Depuis Suzhou, aller à l'aéroport de Shanghai est assez simple, même si celà impose de changer plusieurs fois de moyen de transport. Ce dimanche 26 août, nous avons du nous lever à cinq heures et demie pour prendre le premier train. Puis, en arrivant à Shanghai, il nous a fallu prendre le métro, et sortir à Long Yang Lu, l'avant dernière station, car celle-ci fait aussi office de gare pour le Shanghai Magnetic Levitation Train, appelé aussi Maglev, ou encore SMT. Porte à porte, il y en a pour deux heures, alors qu'en voiture, il faudrait presqu'une heure de plus.
 
 
Cai Li souhaitait depuis longtemps tenter l'expérience de ce Maglev, train unique au monde qui ne roule pas, mais qui est en suspension sur un champ magnétique. En éliminant les frottements, le train atteint une vitesse bien supérieure a celle du TGV, à... Quatre cent trente et un kilomètres à l'heure ! L'expérience est unique, et la prouesse technologique digne d'un film de science-fiction : le fonctionnement de ce véhicule en lévitation à quelques centimètres du sol est le même que ceux de la Guerre des Etoiles !
 
 
 
 
 
 
 
Le Maglev, c'est un test entre le centre ville de Shanghai et l'aéroport. L'idée, du fait de la superficie du territoire chinois, est d'en installer d'autres, et je lisais dernièrement qu'une ligne entre Shanghai et Hangzhou était prévue.
 
 
 
 
 
Cet accomplissement est le fruit d'une coopération sino-allemande, et Gehrard Shroeder s'était lui-même déplacé en décembre 2002 pour couper le ruban de l'inauguration.
 
 
 
 
 
Ce qu'il faut souhaiter, c'est que ce projet ne finisse pas comme le Concorde, transport supersonique fantastique... Mais gouffre financier rendant sa vulgarisation caduque.
 
 
 
 
 
 
 
 

La gare du Maglev est à la sortie de la station de métro de Long Yang Lu, et ressemble à un terminal d'aéroport. Les trains partent toutes les vingt minutes, et on achète son ticket à l'entrée pour cinq euros. Pour sept minutes de trajet, la somme est délirante (en rapport, une heure de trajet entre Suzhou et Shanghai dans un train conventionnel, coûte deux euros vingt maximum)... Mais pour la prouesse futuriste, et pour les impressions qu'on ressent, c'est dérisoire.

 

 
 
 On fait passer ses bagages dans un détecteur à rayons X pour accéder au quai en hauteur.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Arrivé au sommet des escalators, on croise des gardes de la sécurité, souriants, ainsi que des hôtesses en uniformes invitant les passagers à monter.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Sur le quai ce matin-là, il y avait quelques laowais qui n'hésitaient pas à faire de la vidéo ou à prendre pléthore de clichés. Il est d'ailleurs étonnant de voir que les étrangers sont bien plus fascinés par le Maglev que les chinois, qui pourraient pourtant le revendiquer avec fierté : la plupart doivent en ignorer l'existence, et il a fallu que je me connecte sur le site www.smtdc.com pour montrer à Cai Li que son pays avait un train sans roues.
 
 
 
 
Les wagons du Maglev sont larges, propres, et sobres, sans avoir la déco tristounette du TGV, où tout est gris. L'intérieur et le design obusier extérieur ne sont pas sans rappeller le Shinkansen japonais. Les sièges sont bleus, les parois blanches, et un petit panneau lumineux au-dessus des sas d'accès indique la vitesse.
 
 

 

 

 

 

L'accès au Maglev n'est plus autorisé cinq minutes avant le départ. Et puis on sent un étonnant soubresaut, comme si le train s'élevait quelque peu dans les airs (l'analogie est anachronique, mais celà fait penser à une Citroën qui monte !). Par la fenêtre, on remarque alors qu'en effet, le wagon s'est quelque peu surélevé. Et c'est parti.

 

 

 

 

 

Du fait de cette lévitation, le train accuse très peu de coups, et le voyage s'effectue dans une douceur presque totale, eu égard à la vitesse atteinte. Dès lors que nous sortons de la gare, le trajet s'effectue en hauteur, un pont gigantesque ayant été construit jusqu'à l'aéroport de Pudong, à trente kilomètres, pour accueillir la voie.

 

 

 

 

 

 

 

 

La vitesse augmente petit à petit, et, étant en hauteur, avec cette douceur glissante, il est impossible de déceler que l'on va aussi vite. Seul l'écran au-dessus du sas permet de réaliser l'accélération : cinquante, cent, deux cent, deux cent cinquante, trois cent, trois cent cinquante... Jusqu'à quatre cent trente et un kilomètres à l'heure ! En jetant un coup d'oeil au paysage en contrebas, qui défile sereinement, tout comme à travers le hublot d'un avion, il semble impensable qu'une telle vitesse soit atteinte. Cai Li, à deviser la vitesse s'incrémenter sur le panneau lumineux, jubilait.
 
 
L'autre spécificité du Maglev, c'est la prise de virages, rappellant les montagnes russes, dont les cabines s'inclinent dans la direction dans laquelle on s'oriente, mais avec une douceur extrême : étonnant à expérimenter, mais qui donne là une véritable sensation de vitesse.
 
 
La décélération, comme l'accélération, se fait en douceur. Les sept minutes sont passées bien vite, à plus de quatre cent kilomètres heure, et nous arrivons déjà à l'aéroport de Pudong.
 
En sortant du train, nous avons droit au même sourire de l'hôtesse. Les chinois avancent dans le désordre habituel, et Cai Li et moi-même resterons parmi les étrangers, à prendre quelques clichés avant de remonter l'escalator. Un américain, avec un visage aussi enjoué qu'un gosse après un tour d'attraction à Disneyland, me lancera courtoisement "c'était fantastique, non ?"
 
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29 août 2007 3 29 /08 /août /2007 13:49

Julie, c'est ma nièce de dix-sept ans. Il y a quatre ans, alors que celà ne faisait que quelques mois que je vivais à Suzhou, je l'avais invitée à passer une dizaine de jours en Chine, près de son tonton.
 
 
A l'époque, elle n'avait que treize ans, et m'avait impressionné : elle avait pris l'avion seule, pour la première fois de sa vie, avait réglé toute la paperasse liée à l'immigration, et avait récupéré ses bagages pour me rejoindre fraîchement à la sortie du terminal. Au même âge, je me serais senti perdu dans ce pays si différent. Elle, pas du tout. Et elle avait passé ces quelques jours à explorer l'atmosphère chinoise, en allant naturellement vers les gens, alors qu'elle ne parlait pas un mot de mandarin.
 
  
Dès son retour, elle a développé une fascination pour l'Extrême Orient, particulièrement le Japon, en partie via les mangas, qui restent son intense centre d'intérêt. A travers ses lectures ou tout autre media, elle s'est informée régulièrement sur l'Asie... Jusqu'à souhaiter y vivre une expérience au sortir du lycée. Elle me disait très justement que si elle ne le faisait pas dès à présent, elle n'allait pas le faire après être rentrée dans la vie active. C'était un peu maintenant ou jamais.
 
Elle s'est mise au chinois en autodidacte, et l'an dernier, quand Cai Li et moi-même sommes passés en France, elle lui avait rédigé une lettre en mandarin. J'en avais été d'autant plus estomaqué que, même si je me débrouille pour lire le chinois, je suis incapable d'en écrire un mot. Cai Li avait été particulièrement sensible à cet effort.
 
 
Cette année, alors qu'elle démarrait les révisions de son bac, elle m'a envoyé plusieurs messages pour avoir mon avis sur un séjour d'un an en Chine, afin d'étudier. Le Japon reste sa destination de rêve, mais tant le coût de la vie, que ma présence ici, rendaient la Chine plus accessible.
 
 
 
Tout s'est décidé très rapidement. Nous en avons discuté pendant quelques semaines, durant lesquelles elle a continué de bûcher pour son bac. Et, à l'obtention du diplôme, elle m'a recontacté avec tout un lot d'informations qu'elle avait pris auprès de l'université de Suzhou... Pour pouvoir finaliser le projet.
 
 
 
Le 26 août, Cai Li et moi-même nous sommes rendus à Shanghai pour la récupérer au pied de son vol. Immédiatement, elle s'est réappropriée le territoire, comme si il ne s'était pas écoulé quatre ans. Et égoïstement, je me dis que je suis un sacré veinard d'avoir un membre de la famille à mes côtés pendant un an. Pour un expatrié, c'est le plus gros luxe qui puisse s'offrir : ça n'a tout simplement pas de prix.
 
 
  
Julie et moi, nous avons un humble projet, sur lequel, hélas, nous n'avons guère planché pour l'instant, car il a fallu gérer toute l'intendance liée à son arrivée, et la cumuler à un agenda professionnel déjà copieux pour Cai Li comme pour moi. L'idée est de bénéficier de ce fabuleux joujou qu'est la vidéo numérique pour faire un reportage qui s'étalerait sur un an, et qui dévoilerait par le menu, l'expérience d'une adolescente française venant vivre en Chine pendant un an.
 
 
Si le film voit le jour, il est évident que nous en offrirons la primeur au lectorat du blog de l'expat, sauf, bien sûr, si Steven Spielberg nous fait une offre avant. Vous vous doutez bien que j'essaye de le contacter quotidiennement, mais pour une raison qui me dépasse, il ne donne pas suite.
 
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25 août 2007 6 25 /08 /août /2007 06:20
Par l'intermédiaire du blog de l'expat, j'ai reçu en février la candidature d'un français de vingt trois ans qui terminait quatre ans d'études en commerce international en Oklahoma. Au-delà de son diplôme, en adéquation avec les besoins de Onesource, et de son expérience aux Etats Unis, David Pomies est un athlète de haut niveau. Il m'annonçait sans mentir que si il n'avait pas eu à se concentrer sur son devenir professionnel, il aurait participé aux Jeux Olympiques de Pékin. J'ai été d'autant plus impressionné que ma participation à l'évènement se limitera à un avachissement sur mon canapé, à regarder la cérémonie d'ouverture avec une bière à la main.
 
Mon premier instinct me dictait de renvoyer une réponse polie façon "merci de votre intérêt, on vous écrira". J'y ai toutefois réfléchi plus en avant, réalisant que multiplier par deux le staff de Onesource (jusque là, je travaillais seul) pourrait apporter une bien meilleure dynamique à l'activité. Et humainement, c'est toujours plus agréable de travailler à deux que d'avoir à se dépétrer tout seul des problèmes quotidiens.
 
J'en avais fais part à Cai Li, qui reste ma confidente professionnelle, et qui s'avère toujours de bon conseil. Elle sait que j'ai intégralement consacré ces deux dernières années à Onesource pour m'assurer que nous mangions à notre faim, et elle s'est dit qu'avoir quelqu'un à bord, si il était un peu malin, pourrait allèger mon labeur. Et puis la motivation est d'autant plus importante dès lors qu'on entretient une émulation avec quelqu'un qui veut s'accomplir dans le travail.
 
J'ai donc finalement invité David à me rejoindre.
 
Quand j'ai commencé à travailler, j'avais l'âge de David, et mon patron avait mon âge. C'est à ce patron, au côté du quel j'ai travaillé pendant huit ans, que je dois en grande partie l'expérience qui m'a permis de développer Onesource. Partant de ce constat, recruter était un passage de relai naturel, communiquant le savoir qu'on m'avait communiqué au même âge.
 
 
Le 16 août, j'ai pris le train pour Shanghai, puis le métro et le maglev, pour atteindre l'aéroport et récupérer ce nouveau membre de Onesource.
 
David s'est immédiatement plu, dès son arrivée à Suzhou : l'exotisme chinois dépassait son imagination. Lui-même me confiait que la quantité de nouvelles sensations à chaque instant lui procurait un vertige toujours ennivrant, mais jamais saoulant. Son logement, bien qu'humble en comparaison d'un appartement occidental, l'a séduit dès qu'il en a franchi l'entrée. Son quartier traditionnel, avec ses ruelles pavées, ses habitations typiques, et son flot constant de vélos, l'a conquis.
 
Sachant que la société allait augmenter son personnel de cent pour cent, j'ai loué un bureau à un sous-traitant. C'est une situation transitoire, et au solde de sa période d'essai de trois mois (dont l'aboutissement, et je peux dès à présent l'admettre sans risque, devrait s'avérer positif), nous déménagerons dans un bureau propre. A priori, le duo de choc que nous formons, composé d'un sportif et d'un créatif, devrait réussir.
 
Je ne reste pas plus longtemps derrière le clavier, car David et moi-même avons beaucoup de travail si nous voulons atteindre notre objectif : prendre notre retraite dans dix ans. Les entrepreneurs restent de grands rêveurs.
 
David, c'est le bellâtre à droite. Ah oui, si l'agence de sourcing ne se développe pas, on pourra toujours en monter une de mannequinat.
 
 
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2 janvier 2007 2 02 /01 /janvier /2007 05:55
Un petit pas pour l'humanité, mais un grand bond en avant pour ma petite personne.
 
Ca y est, je suis le Président Directeur Général, le Président du Conseil d'Administration, l'actionnaire majoritaire (et unique), et euh, la Dame Pipi, de Onesource Agency, la société que je viens d'enregistrer. Pourquoi tout ce cumul de fonctions ? Et bien, c'est une toute petite entreprise, puisque l'intégralité de notre équipe, chez Onesource Agency, ne compte... Qu'un individu... Et pas bien grand avec ça. Dans tous les cas, c'est officiel, et je suis passé à Shanghai le lendemain de Noël pour récupérer tous les beaux papiers qui prouvent que je suis mon propre patron... Et pour l'instant, de personne d'autre.
Tout avait commencé en mai 2005. J'avais décidé de quitter mon précédent employeur chinois, lui expliquant posément que je perdais mon temps, tout en lui faisant gaspiller son argent. J'avais été embauché un an et demi plus tôt par ce fabricant de cadres et de miroirs à Suzhou, après une expérience malheureuse d'association avec trois chinois véreux, dont l'un d'entre eux s'était avéré patron d'un bordel, et dont un autre jouissait de la façade du mariage tout en passant ses soirées de libre avec l'une de ses sept maîtresses. Des jaunes qui en veulent !
 
Mon précédent employeur, quant à lui, m'avait embauché dans son usine pour faire le ménage dans son service commercial, organisé à la méthode chinoise, c'est-à-dire dans un chaos total où rien n'est structuré, même pas les responsabilités et la hierarchie, et où les commerciaux gardent jalousement leurs informations, en partant du principe qu'en faire profiter les autres ne leur bénéficieraient pas. J'y suis allé, je pense avec un maximum d'intelligence, ai gagné presque toutes les batailles, mais ai perdu la guerre. Il faudra que je prenne le temps de rédiger un article que les méthodes de travail en entreprise en Chine, car il y aura tant de quoi amuser que surprendre.
 
Mon ancien patron, qui reste quelqu'un de formidable, et à qui je dois beaucoup, partait du principe qu'en faisant bon copain avec l'équipe, j'aurais suffisament de pouvoir pour organiser les choses. Et là, même si, au niveau personnel, je m'entendais très bien avec tout le monde, je restais professionnellement l'étranger qui n'avait rien compris. Gérer les gens n'a jamais voulu dire faire plaisir à tout le monde. Personnellement, je n'ai jamais connu de patron qui ne soit pas critiqué, que ce soit fondé ou non. Bref, ils n'avaient pas l'intention de changer leurs méthodes, et sans soutien de la part de la direction, au bout d'un an et demi, je me suis dis que je n'avais pas besoin d'eux, et que je pourrais bien développer mon business tout seul.
 
Et c'est ce que j'ai fais !
 
Au tout départ, j'avais proposé à Wang Ke Rong, un petit chinois tout fin mais plein d'ambitions, de s'associer, et de développer une affaire de représentation en Chine pour le compte d'entreprises françaises. Il a bondi sur l'opportunité, sachant qu'il avait déjà une société, dont il m'a offert 30% des parts, et j'ai pu commencer à avancer. J'ai vécu sur mes économies, en avançant le plus vite possible pour que les affaires me permettent de survivre. J'ai déménagé dans un appartement deux fois plus petit... Mais surtout deux fois moins cher. Je n'ai jamais eu un train de vie de nabab, mais j'ai fais quelques coupes sombres dans mon budget, pour assurer la pérenité d'une activité à laquelle je crois.
 
Quelques mois plus tard, me voyant démarrer correctement, Wang Ke Rong décidera de plaquer son travail, pour se consacrer à plein temps au montage d'une usine d'aspirateurs... Dont nous célébrerons l'ouverture officielle le 18 juin dernier. Au-delà du fait que nous soyons restés bons amis, Wang Ke Rong avait un agenda caché. Ce qu'il souhaitait depuis le départ, c'était que je gère l'intégralité de l'activité commerciale de son usine, et que je laisse tomber l'activité de représentation que je développais seul depuis plus d'un an. L'objectif de notre association était de bénéficier d'un soutien mutuel... Qui s'est avéré unilatéral, car seule son usine l'intéressait. De mon côté, faire partie de cette aventure qu'était le démarrage de son entreprise était très excitant, et j'ai fais tout mon possible pour le soutenir au maximum... Au détriment de mon activité de représentation que je n'avais pas pour autant envie d'abandonner.
 
Voyant que nos objectifs variaient du tout au tout, et qu'il était hors de question que je travaille douze heures par jour et sept jours sur sept pour une usine dont je n'étais pas actionnaire, sans avoir l'opportunité de développer une activité que j'avais démarré seul, nous avons préféré nous séparer. C'était il y a quelques mois, fin septembre. Il a fallu que je reparte à zéro, et j'ai donc commencé les démarches pour enregistrer Onesource Agency.
 
Quand j'y pense, quel parcours pour en arriver là ! Même si celà implique de devoir continuer à travailler seul, je crois plus que jamais à ce que je peux apporter aux entreprises françaises en terme de compétitivité. La meilleure preuve que j'en ai reste le fait que je représente intégralement, un an et demi après le démarrage, cinq entreprises françaises, qui me font confiance dans une transparence et une honnêteté totale. Et je n'ai pas l'intention de m'arrêter en si bon chemin !
 
Vous pouvez visiter le site www.onesource-agency.com, qui détaille tous les beaux services que Onesource et moi-même proposons.
 
 
 
 
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18 septembre 2006 1 18 /09 /septembre /2006 17:09
Hier soir, j'ai découvert un endroit vraiment sympa à Suzhou, et où les tracas s'oublient au vestaire. Désolé pour les amateurs d'exotisme, dont l'imaginaire aura déjà sublimé une pagode millénaire, un temple shaolin, ou un quartier tiers-mondiste propres à alimenter leurs rêves fabuleux... Car il s'agit d'un pub irlandais.
 
Le Shamrock, ce pub en centre-ville, m'a oxygené. Les chinois sont terribles pour celà : leur vie conjugalement installée, ils ne mettent plus le nez dehors, restant à l'abri dans leurs pantoufles pointées vers la télé. Cai Li en est l'échantillon parfait, alors que moi, je commençais à me taper la tête contre les murs de ne plus sortir. Elle sait que j'aime l'atmosphère des bars, et pour palier à celà, elle me répétait ces dernières semaines que je pouvais saturer le frigo de bière fraîche, mettre dans la platine le CD qui me plaisait, histoire de créer l'ambiance. Mais voilà, ce n'est pas du tout la même chose. Encore un an à ce rythme autarcique et ménager, et je marchais à quatre pattes, devenu trop sauvage pour communiquer. J'aime bien, en toute décontraction, l'atmosphère cosmopolite des bistrots pour étrangers en Chine.
 
Nous avons vissé nos coudes au comptoir, commandant deux Kilkenny pression. La bière occidentale pression n'étant pas légion en Chine, je me suis d'autant plus délecté. Et du même coup, Cai Li a découvert l'existence de la bière brune, sans grande conviction quant à l'intérêt de sa saveur.
 
Dans Shamrock, il y a rock, et ce qui m'a aussi fait aimer l'endroit, c'est qu'on peut y écouter de la bonne musique. Car paradoxalement, même si la Chine est un pays très sonore, la musique détient peu de charge émotionnelle. Au Shamrock, on écoute à loisir, et sans que la musique ne crève les tympas, de la pop, du rock, du blues, ou de la musique celtique. La plupart de ces types de musique restent désespérément absents des bacs. Pour Cai Li, c'était nouveau, et pourtant, le fond musical lui a paru neutre. Et c'est moi qui ai du lui expliquer que ce qu'elle entendait, c'était du reggae.
 
1°/ Le podium américain :
 
La musique étrangère est présente... Mais dans un éventail très limité. Alors que les magasins de CD et de DVD font partie de l'enchainement constant des petits commerces de quartier, même les plus pauvres, et que le nombre de films offerts, dans des échoppes précaires repeintes à la chaux, vaut bien dix fois le choix d'une FNAC française, on ne trouve que peu de musique internationale.
 
Il reste une poignée d'artistes indéboulonnables, dont la plupart sont inconnus ou démodés en Occident, à tel point qu'on ne se souvient de leur existence qu'en jetant un coup d'oeil dans les bacs.
 
Le chanteur américain qui conserve une quote éternelle, c'est Michael Bolton. Dans l'esprit chinois, il est tout aussi connu aux Etats Unis que peuvent l'être Michael Jackson ou Madonna. A mon arrivée, je ne le connaissais même pas. J'avais créé une stupeur dubitative chez les autochtones en leur avouant n'en avoir jamais entendu parler. Plutôt que de tenter de comprendre qu'il n'avait rencontré le succés qu'en Chine, les locaux préfèraient me lancer un sourire, se raillant de mon manque de culture musicale occidentale. Car Michael Bolton, il est mondialement connu en Chine.
 
Les Carpenters aussi ne cessent de faire des fans, même au sein de la jeune génération, et malgré leur ringardise avérée. Le troisième larron dont on entend les mélodies partout, c'est le saxophoniste Kenny G, qui n'a pas sorti un album depuis au moins une décennie. Il est un peu connu en Amérique, pour ainsi dire inconnu en Europe, mais obtient la totalité des suffrages en Chine. Et pourtant, Kenny G est au saxophone ce que Christian Morin est à la clarinette : un pitre.
 
Quotidiennement, j'entends dans les supermarchés, les cafés, ou les magasins de mode, un fond sonore emprunté à ces artistes, avec la terrible sensation que dans l'inconscient collectif chinois, la musique étrangère se résume à ces mélopées antédiluviennes. Un occidental ne mettrait pas ça dans sa discothèque. Mais ici, répéter les cha-la-la-la mièvres des Carpenters, ça fait mode. Même sur les bornes d'écoute présentant les disques occidentaux, fleurissent toujours leurs jacquettes, sous des titres aussi prometteurs que "le meilleur de la musique étrangère".
 
2°/ Des variétés avariées :
 
Parce que ça fait mode aussi, Richard Clayderman, avec ses minivagues blondes, et ses smokings pastels et pailletés, reste un classique. Personnellement, je croyais qu'il avait décidé de mourir, par respect pour l'ouïe du genre humain, et par honte pour un simulacre d'oeuvres volées, et réinterprétées à la mode bontempi.
 
Les chinois ne font pas la différence. Ecouter la cinquième de Beethoven dirigée par un chef d'orchestre de renom, ou bien à la piètre façon d'un jingle Playstation comme l'osait Clayderman, c'est la même chose, puisqu'il s'agit de la même mélodie. Karajan, Clayderman, même combat. Le plus étonnant, c'est que les jaquettes de Richard Clayderman (celles de ses disques, pas ses vestes lui permettant de jogger la nuit) continuent de le présenter en beau trentain blondinet, sorte de Rahan en smoking de clown, souriant de tout son clavier, bon qu'à faire frémir les mémères. Imaginez votre stupeur, si dans un endroit sobre et élégant, vous aviez les oreilles agacées par les massacres de ce pathétique trublion oublié.
 
Les français ne sont pas en reste, car une chanteuse reste très présente dans les bacs et les endroits branchés. Il s'agit d'Hélène Rolles, celle qui, il y a dix ans, avait remporté un succés mercantile, à défaut d'artistique, auprès des moins de cinq ans. Et en Chine, elle est aussi très cool. Quand j'explique aux chinois que ses mélodies sont uniquement destinées aux mouflets mous du bulbe, qu'elle même n'a jamais été une véritable artiste, et encore moins un prix Nobel de physique moléculaire, ils me rétorquent dans un soupire que l'air est bien joli, et que sa voix est charmante et douce. Malgré la pauvreté intellectuelle et artistique de son répertoire, la petite Hélène est devenue une ambassadrice de la fraîcheur et de la culture française en Chine. Tout autre artiste français est tout simplement inconnu.
 
3°/ Où "l'easy listening" prend tout son sens :
 
Les chinois ont une perception de la musique complètement différente. Les anglo-saxons appellent celà du "easy listening" (ce que nous appellons des variétés). La traduction littérale serait du "facile à écouter"... En Chine, la musique n'a pas besoin d'émouvoir, de sublimer des sensations, mais seulement de distraire et détendre.
 
Les autres artistes occidentaux que l'on retrouve dans les bacs restent à cette image de soupe à la mode, ou suranée : les Eagles (pas une semaine sans que je n'entende Hotal California !), ABBA, Bee Gees, voire Britney Spears ou Shania Twain. Toutefois, certains autres musiciens réussissent à percer : Norah Jones, ou Dire Straits. Dans les magasins les mieux approvisionnés, on peut en dégotter un peu plus : les Beatles, Rolling Stones, Sting, et même les Pink Floyd ou Nirvana. Mais ils ne suscitent l'intérêt que de la diaspora occidentale.
 
Pour comprendre, il suffit d'écouter la pop chinoise (ce qu'à Hong Kong, on appelle avec chauvinisme régional, la "canton pop"). Il y a pléthore d'artistes locaux : chanteurs, chanteuses, ou boys et girls bands, qui sont au palmarès des meilleures ventes. J'ai moi-même acheté quelques CD. C'est globalement plus mièvre que la Star Academy, et fait montre d'un talent tout aussi conceptuel. La mélodie est simpliste, voire grotesque, et il n'est pas rare qu'un artiste chante faux. Les chinois ne s'en rendent pas compte. Pour être un chanteur à la mode, il suffit d'être jeune et beau. Tout le reste est formaté, packagé, marketé, et vendu à des millions d'exemplaires.
 
On vend un rêve strassé de parc d'attraction... Mais en aucun cas de l'émotion. Il y a quelques années, j'avais entendu Jean-Louis Aubert s'exprimer à la radio concernant la Star Academy. Il avait répondu au journaliste que la Star Academy lui avait fait découvrir une option formidable : "on pouvait élever les artistes en batterie". La formule m'avait fait pouffé. Et Aubert, pour s'expliquer, reprenait l'exemple de Brassens, qui ne savait pas danser en gigotant du dérrière, et qui se retrouvait avec sa guitare et son coeur comme seuls outils... Avec la reconnaissance qu'on connaît. En Chine, cette forme de musique populaire n'existe pas, car l'essence de la musique est dans sa facilité d'écoute, et pas dans la sensibilité.
 
Il ya toutefois quelques artistes de talent, tels que Jay Chou ou Wang Fei qui, de par la qualité de leur musique, obtiennent la place qu'ils méritent sur le podium. Cai Li et moi sommes allés au concert de Jay Chou l'an dernier, et, alors que j'appréciais déjà ses CD, j'ai été particulièrement impressionné par sa prestation. Alors qu'il reste une icône de la pop music, il n'a pas hésité, à la fin du concert, à nous faire jouir d'une interprétation à quatre mains, au piano, d'une mazurka de Chopin... Qui m'a boulversé par son naturel d'exécution, et par sa qualité, miraculeuse.
 
4°/ Supergirl subversif :
 
Pendant de l'explosion économique, l'exploitation commerciale atteint son paroxysme : tous ces jeunots fades à la mode se retrouvent placardés sur les bus, vantant les mérites des sodas importés, ou à la télévision, dans des spots publicitaires poussant à la consommation d'articles inutiles, mais cools. Nike, Pepsi, et d'autres, s'en sont emparés. Même en ne s'y intéressant pas, on n'échappe à la présence d'aucune de ces étoiles qui, une fois l'effet de mode passé, s'éteindront. En attendant, le filon continue d'être exploité.
 
Nous avions aussi une Star Academy. Celà s'appellait Supergirl, et présentait de jolies gamines, dépourvue de talent, et la tête tout aussi pleine d'eau qu'une pastèque. Le jeu fleuve qui se poursuivait sur plusieurs mois, a connu un succès sans précédent, et la gagnante l'an passé continue d'être frénétiquement adulée. Pourtant, le concept du jeu ne rentrait pas dans le cadre fixé par le parti, qui voyait l'engouement hystérique pour le programme d'un très mauvais oeil.
 
Le principe était similaire à la Star Academy, et chaque mois, les téléspectateurs votaient par SMS pour éliminer les prétendants au hit-parade qu'ils trouvaient dénués d'intérêt. Face à la participation en grand nombre à ces "élections" (on a recensé quatre cent millions de téléspectateurs, et le nombre de votants pour la finale s'est élevé à presque sept millions !) avec un téléphone portable comme isoloir, le gouvernement chinois a tout simplement interdit le jeu... Trouvant ce comportement démocratique, fatalement subversif ! Le plus étonnant réside dans le fait que les chinois n'ont pas réagi. Ce sont des moutons, prêts à s'entretuer pour tirer une grosse part du gateau économique, mais qui se contrefichent de leurs libertés individuelles.
 
5°/ L'omniprésence musicale au quotidien :
 
Le monopole de la musique bon marché reste total. A l'entrée des magasins trônent toujours une paire d'enceintes hurlant les mêmes chansons populaires, et dans les cafés occidentaux (qui ne sont que l'occidentalisation des maisons de thé), on a toujours droit au même fond répétitif. A la radio, dans les voitures, à la télé, ce sont toujours les mêmes choses que l'on entend.
 
C'en est d'ailleurs paradoxal, car il y a de très nombreux musiciens en Chine populaire, et pourtant, on entend toujours la même chose ! Je me surprends parfois à pouvoir répéter en phonétique les paroles d'une chanson martelée, en suivant l'air, et sans même en connaître ni le sens, ni même le chanteur. Il faut dire qu'il y a somme toute peu de chansons populaires, et que chaque chanteur les reprend dans une interprétation personnelle. Et là aussi, que ce soit l'original chanté il y a trente ans, ou bien une reprise faite par un chanteur à la mode, les chinois se l'approprient de la même façon. Il n'est pas non plus rare d'entendre une nouvelle interprétation, par un nouveau musicien, d'une chanson créée par un autre, seulement un an auparavant.
 
Les chinois s'y retrouvent ainsi, et on les voit fredonner un peu partout les paroles d'une chanson connue par tous, sans aucune gêne, alors qu'en France, on ne serait même pas capables de retrouver de tête le refrain des "copains d'abord". Ce qui est amusant, et reste très frais, c'est de réaliser l'intérêt que les chinois ont pour le chant. Il n'est pas rare, dans un restaurant, d'entendre toutes les serveuses chantonner en même temps, dans une douceur peu harmonieuse, les paroles d'un clip vidéo diffusé à la télé. Et lorsqu'on achète un lecteur DVD ou un ampli, tous sont munis de deux prises pour les micros, alors qu'ils en sont exempts pour les casques.
 
7°/ Le karaoke, une institution :
 
Je n'ai pas connu un seul chinois qui n'aime pas chanter. Il y a en Chine plus de karaokes que de boites de nuit ou de bars. On s'y retrouve, entre amis, pour quelques heures, voire un après-midi, dans un salon privatif et confortable, en buvant du thé ou des rafraîchissements, et on s'y fait vibrer les cordes vocales.
 
Pour les établissements accédant à une certaine renommée, il est parfois nécessaire de réserver à l'avance. Les karaokes ont toujours la même configuration. Des deux côtés d'un long couloir s'alignent des petits salons insonorisés où, face à un long canapé et une table basse, siège tout un système hifi vidéo permettant, via un petit pupitre informatique, de faire défiler des clips musicaux sous-titrés.
 
La décoration est parfois surprenante, et souvent thématique. Il y a deux karaokes qui fonctionnent très bien à Suzhou. Le premier se nomme le Space Station, et dès lors que l'on passe l'entrée, toute l'atmosphère est recréée pour avoir l'étonnante sensation de se retrouver dans un vaisseau de la Guerre des Etoiles... Avec un certain succés. Le souci du détail va des uniformes de serveuses, parfait reflet aluminium de ce qu'on porterait dans un film de science fiction, jusqu'aux cendriers, en forme de vaisseaux galactiques. Le deuxième karaoke nous emmène dans l'environnement aventureux de l'Egypte archéologique, et là aussi, avec une certaine réussite dans la décoration.
 
Mais là encore, c'est toujours la même chose. Toutes les chansons semblent être connues de tous, et le répertoire parait limité. Les clips sont à mourir de rire, montrant, en prétexte visuel, des mannequins posant avec un manque de naturel qui les rend grotesques. Et les chinois, pour une raison qui m'échappe, dès lors qu'ils se mettent à beugler dans leur micro, ne peuvent s'empêcher d'y rajouter un maximum d'écho.
 
8°/ La musique traditionnelle en filigrane :
 
La Chine reste attachée à sa culture plurimillénaire, et entendre de la musique traditionnelle dans les rues, ou chez les gens, est quelque chose de très courant. J'aime particulièrement cette nécessité, qui cohabite sans difficulté avec une modernité en développement. Cai Li, qui n'a que vingt six ans, n'hésite pas à acheter de la musique traditionnelle chinoise, qu'elle met en fond par goût, et quand elle souhaite se détendre, ou qu'elle se met à peindre.
 
Dans beaucoup d'endroits de la ville, et pas obligatoirement les plus touristiques, on voit souvent de petits orchestres traditionnels se produire. Dans les maisons de thé, endroits dévolus à cent pour cent à une clientèle locale, il n'est pas rare que des duos viennent se produire, en costume traditionnel, avec des instruments centenaires. Dans ces instants-là, assis à une table de bois cirée, baigné dans une fumée de cigarette voluptueuse, un thé à la main, on a le sentiment véritable de faire un bond dans le temps, et d'être complètement intégré à l'univers extrême oriental. Jouissif, relaxant, et foncièrement dépaysant. Peut-être après tout est-elle là, la véritable musique chinoise. Et dans tous les cas, celle-ci, regorgeant d'émotion, obtient mes suffrages extatiques.
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7 septembre 2006 4 07 /09 /septembre /2006 06:25
Hier, alors que j'étais dans le car me ramenant à Suzhou après un déplacement pour affaires, Cai Li me passe un coup de fil, faiblarde de voix, m'indiquant de la rejoindre sur son lieu de travail. Ce n'est pas sans appréhension que je lui ai demandé pourquoi, sachant que normalement, on se retrouve directement chez nous.
 
Elle me raconte alors qu'elle a fait une chute de son vélo électrique, suite à un léger accrochage avec une voiture, et qu'une entorse l'empêche de marcher. Connaissant mon tempérament anxieux, elle me rassurera, me précisant que ce n'est rien de grave, même si, entre le constat policier, et le passage à l'hopital, elle y a passé l'après-midi... Et que la douleur à son pied gauche reste intense.
 
Arrivé à Suzhou, je m'engouffre dans le premier taxi, pour la retrouver dix minutes plus tard, le visage fatigué, et la jambe allongée sur une chaise, du fait de sa souffrance à poser le pied par terre. Aussitôt, Cai Li me raconte comment tout celà s'est déroulé.
 
En début d'après-midi, alors qu'elle chevauchait son destrier à piles sur un passage piéton, une voiture est arrivée, et, freinant au dernier moment, frappa le vélo électrique de la petite en fin de course, la faisant choir de sa monture sur le bitume. Le vélo, sur sa partie la plus lourde, à savoir la conséquente batterie, lui tombera sur le pied.
 
 
 
  
1 - Des techniques de conduite apocalyptiques.
 
Les chinois donnent l'impression de ne conduire qu'en état d'ébriété avancée, roulant au klaxon (à tel point que je les soupçonne de pouvoir s'accomoder d'une voiture sans volant, mais de ne pouvoir en conduire une sans klaxon), zigzagant d'une allée à l'autre, sans aucun respect pour le marquage, doublant tant à droite qu'à gauche, forçant le passage partout et tout le temps, pilant au dernier moment sans rétrograder, roulant parfois même en éteignant le moteur, en roues libres, et avec une normalité complètement déconcertante. Ils doublent même si il n'y a aucune visibilité, se disant qu'il y aura toujours moyen de passer, ou de faire se décaler le véhicule arrivant en face. Il n'est pas non plus rare de croiser des voitures en contresens sur l'autoroute, ou des véhicules faisant marche arrière sur plusieurs centaines de mètres, sous prétexte qu'ils ont raté la sortie. Et outre ces voitures, je ne ferais même pas état du nombre de gens, à bicyclette, que je vois remonter les zones d'arrêt d'urgence des mêmes autoroutes, parfois en sens inverse, dans une nonchalance de promeneurs champêtres.
 
N'amoindrissez pas mes propos.
Il n'y a aucune emphase de ma part.
La conduite en Chine, il faut tout simplement la vivre pour la croire.
 
Quand je travaillais en centre ville, je voyais un accident quotidiennement, entre voitures, bus, passants, cyclomoteurs ou pousse-pousses. Dès que je prends le car pour aller dans une autre ville, j'y pense avec effroi. Dès que je traverse la route, je fais virevolter mon regard dans tous les sens, par peur de rentrer en collision avec un cycliste ou une voiture. Au printemps dernier, je m'étais rendu dans la province adjacente, pour y visiter une usine. Durant les quatre heures que dure le trajet en car, j'ai dénombré neuf accidents. Depuis un peu plus de dix ans que je travaille avec la Chine, j'ai connu deux personnes décédées suite à des accidents de la route. En Chine, le risque est tout simplement total.
 
Lors de mon tout premier voyage, il y a quelques années, j'avais été surpris d'entendre une cacophonie de klaxons dans les rues, et, en bon français n'ayant à l'époque que peu baroudé, j'en avais immédiatement déduit qu'il devait s'agir d'un mariage ! Le seul accouplement fêté était celui de deux voitures, et l'accompagnement des klaxons ne manifestait que le désir des autres conducteurs de voir la route dégagée.
 
Celà me fait toujours un peu sourire, quand mes proches, soucieux de ma bonne santé en Extrême Orient, me demandent de faire bien attention à l'hygiène, à la nourriture, au SRAS, ou à la grippe aviaire... Car très sincèrement, je coure mille fois plus de risques en traversant la rue.
 
 
 
  2 - La hantise de prendre le volant.
 
Moi-même, qui vit en Chine depuis plus de trois ans, jusqu'à très récemment, je n'avais que rarement pris le volant, toujours dans des endroits désertés, ou de nuit, pour ramener des connaissances, qui, d'avoir trop bu, étaient sur le point de perdre la leur.
 
Ce n'est qu'il y a quelques semaines, que je me suis décidé à me mettre à conduire... Et je le fais toujours avec une certaine appréhension, uniquement du fait de cette fourmilière désordonnée, où les réactions des véhicules sont imprévisibles, et où les belles avenues de Suzhou prennent des allures de pistes de stock car. A chaque croisement, il semble que les conducteurs ont perdu le contrôle de leur véhicule, souhaitent s'imposer comme les maîtres du bitume, où accueillent une femme sur le point d'accoucher sur leur banquette arrière.
 
D'une part, je créé chez les chinois une surprise amusée lorsqu'ils me voient au volant (en trois ans, j'ai du croiser deux fois des expatriés qui conduisaient); et d'autre part, je génère l'incompréhension désabusée de la plupart des étrangers, qui ne comprennent pas comment j'accomplis une telle prouesse. Lorsqu'ils apprennent que je conduis, ils me retournent un petit sourire en coin, me demandant si je suis "courageux, inconscient, ou suicidaire". D'autres ne répondent rien, et accompagnent leur sourire d'un regard dans lequel je peux lire "A qui veut-il faire croire celà ? Aucun étranger n'est capable de conduire ici". On ne peut rien anticiper de la part des véhicules, les rétroviseurs servent à la décoration, et une voiture est un outil permettant d'asseoir son pouvoir, comme un flingue dans le poing jouissif d'un militaire. Le risque induit pour la vie d'autrui ne semble pas être un paramètre.
 
3 - La voiture, partenaire de l'ego.
 
L'outil principal lorsqu'on conduit, c'est le cerveau. Les chinois, tout comme dans leur relationnel, n'utilisent pas leur cerveau, et préfèrent privilégier leur ego. C'est à celui qui saura en montrer le plus, celui qui impressionnera, celui qui donnera une image emplie de pouvoir. Car en Chine, on est cool que dès lors qu'on a de l'assurance, et on a de l'assurance que dès lors qu'on a du pouvoir. La plupart des voitures sont des paquebots, car il faut pouvoir se déplacer au volant d'un véhicule qui impressionne par sa taille et son confort.
 
L'accident de Cai Li en est l'échantillon parfait. En théorie, les véhicules doivent laisser passer les piétons. En pratique, les cyclistes et les piétons sont plus petits, plus vulnérables, et dès lors, doivent accomoder le passage aux plus gros. La police, même si elle est présente, adopte les mêmes règles de priorité, qui lui paraissent normales, et ne tente pas de rappeler à l'order les délictueux.
 
Ce genre d'accidents arrive en France. La différence, c'est qu'en France, si vous traversez un passage piéton, les voitures vous laisseront passer. En Chine, vous avez intérêt à savoir courir, et vite. Si vous traversez benoitement, ce sont les conducteurs qui vous prendront pour un fou de ne pas réaliser le risque que vous encourez... Alors qu'ils sont bien plus puissants que vous (rien d'étonnant, donc, à ce qu'un étudiant chinois, dressé dans une stoïcité confucéenne sur un passage protégé, se fasse écraser par un char pékinois).
 
Dans le cas de Cai Li, le conducteur voulait passer à tous prix, même si, en cycliste prioritaire sur un passage piéton, elle était sur son chemin. Il a montré qu'il était éduqué, car en Chine, celà aussi est important. Il a appelé la police, qui s'est déplacée pour faire un constat, et a emmené Cai Li à l'hopital, réglant les soins médicaux de la petite. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que, du fait d'un vide juridique total, la police est aussi tribunal de la situation, intimant, en Salomon du trafic routier, qui a tort et qui a raison. Quand Cai Li et le chauffard ont expliqué la situation aux représentants de la maréchaussée, ceux-ci ont déterminé que le chauffard était en tort, qu'il devait emmener la petite à l'hopital, payer ses frais médicaux, et compenser, sur la base de son salaire, les dix jours déterminés par le médecin durant lesquels elle ne pourrait ni marcher ni travailler.
 
Tout ceci est aussi banal qu'un bol de riz. Un vieux policier a expliqué à Cai Li que des accidents de la route, uniquement dans le maigre district de la ville qu'il gère, il en survient une dizaine par jour, avec de pics atteignant parfois cent par semaine. Cai Li, l'écoutant, restera estomaquée par la file d'intervenants venue faire une déclaration d'accidents de la route. L'histoire, pour elle, s'est arrêtée là. Elle n'a pas souhaité que je l'accompagne au poste de police, par peur de l'inconscient collectif chinois voulant que les étrangers soient richissimes. Par conséquent, le chauffard aurait pu la pousser à prétendre à moins, du fait de mon hypothétique situation financière de nabab.
4 - Un code de la route peu décodé.
 
Au-delà de cette conduite insurrectionnelle, force est de reconnaître que les conducteurs chinois ne sont pas éduqués correctement. Tout d'abord, tout le monde dispose d'une bicyclette ou d'un vélo électrique. Les vélos électriques roulent jusqu'à trente cinq kilomètres à l'heure en ville, et ne nécessitent aucun permis. Les cyclistes restent bien plus nombreux que les voitures (on doit au moins être à un ratio d'une voiture pour cent cyclos), et même si les infrastructures routières comptent des allées cyclistes larges, interdites aux voitures, la cohabitation avec celles-ci reste difficile.
 
Les vélos arrivent parfois au milieu de la chaussée réservée aux voitures, à contresens, et tentent simplement de se frayer un passage, sans qu'ils ne réalisent qu'ils risquent leur vie. On traverse n'importe où, sans regarder, parfois rapidement, et moi-même, lorsque je conduis et que j'arrive à la perpendiculaire d'une allée où piétons et cyclistes passent, je klaxonne systématiquement pour annoncer mon arrivée... Au risque, sinon, de voir un chinois déboucher au dernier moment d'un endroit d'où je n'aurais pu le voir surgir, ne regardant pas s'il peut traverser sans danger.
 
Cai Li n'échappe pas à la règle. Suzhou est une ville magnifiquement illuminée de nuit. Mais, les premières fois où, malgré les lampadaires et les néons, j'allumais le phare de notre vélo électrique au crépuscule, elle me demandait pourquoi, m'expliquant qu'il y avait bien assez de lumière pour qu'on puisse voir la route. Depuis, je n'ai toujours pas réussi à lui faire comprendre que les phares ne servent pas uniquement à voir, mais aussi à être vu. Systématiquement, j'ai droit aux épaules haussées dans un soupire, passant pour le peureux qui en fait trop.
 
La conscience du danger n'existe presque pas. Alors que les rues des villes chinoises sont larges, avec un trottoir pour les piétons, une allée aménagée pour les cyclistes, et au moins deux voies pour les voitures, les piétons continuent à marcher sur la voie des vélos. Très souvent, je suis obligé de tirer Cai Li par le bras, alors qu'un cycliste machinal se rue sur elle sans regarder. Systématiquement, il faut lui rappeler que la voie des vélos comme la route sont dévolues aux véhicules, et que nous serions bien plus en sécurité en marchant sur le large trottoir que le gouvernement communiste a généreusement construit à notre attention.
 
Quand j'ai demandé à mon ami Sun Ming Shan, après qu'il ait obtenu son permis, comment fonctionnaient les règles de priorité en Chine, tant celles-ci me paraissaient nébuleuses, il me répondra "tant qu'on va tout droit, on a la priorité". Tout aussi dubitatif, je lui ai demandé quelle était la règle à l'approche d'un carrefour ? Si je vais tout droit, j'ai la priorité, mais si une autre voiture arrive à gauche ou a droite, souhaitant aussi aller tout droit, nous avons par voie de conséquence tous les deux la priorité. Dans ce cas précis, qui est légalement censé laisser passer l'autre ? Et Sun Ming Shan, avec cette assurance imperturbable des chinois sans expérience mais qui veulent montrer qu'ils savent tout, concluera : "ça dépend !". En résumé, à l'approche d'un carrefour, c'est la loi du Talion. Celui qui klaxonne le plus fort, qui va le plus vite, qui fait rugir son moteur à l'explosion, et qui a le plus gros véhicule, gagne en général la priorité, jusqu'au prochain carrefour, où le défi recommence avec d'autres conducteurs.
 
Il faut bien resituer tout celà dans son contexte. Comparativement, en France, les rues sont très calmes. Il y a peu de voitures, et pour ainsi dire pas de cyclistes et peu de piétons. En Chine, c'est le déversement constant de véhicules de toutes sortes et d'individus, comme un torrent dont le courant ne cesse jamais, ne se jetant dans des directions dédiées que par les impératifs géographiques.
 
5 - Le permis de conduire, un jeu de faveur.
 
Comme dans de nombreux domaines en Chine, où corruption et petites escroqueries sont tellement présentes qu'elles en deviennent transparentes, le passage du permis de conduire n'est parfois assujetti à aucune connaissance théorique, ni même pratique.
 
Il y a quelques mois, Cai Li et moi-même devisions les informations sur une des chaines municipales, où les reporters dénonçaient une fraude fantastique s'étant déroulé en banlieue de Suzhou. Une soit-disant école de conduite proposait d'obtenir un permis en une heure et demie, sans même avoir à toucher un volant. Outre le fait que les candidats n'avaient pas à cumuler de fastidieuses heures de leçons de conduite, ou devant un écran à cocher les cases du code, le coût, même si il n'était pas neutre, s'avérait bien mois dispendieux que celui d'une obtention dans les règles établies.
 
Les margoulins ayant osé cette supercherie d'un applomb extraordinaire, disposaient de connexions avec les fonctionnaires dédiés à la gestion des permis, ceux-ci les accordant les yeux fermés, mais les poches pleines. On interviewait ainsi un pauvre bougre ocre cinquantain, pleurant devant la caméra d'avoir son permis à la main, sans même savoir comment démarrer une voiture. Il avait payé pour obtenir le morceau de papier, mais personne ne lui avait appris à conduire. Cet exemple n'est peut-être pas banal, mais il est loin d'être unique. Il faut mettre à la décharge des chinois que, par manque d'éducation flagrante, et par habitude de digérer directement la propagande sans même s'interroger sur son contenu, ils sont d'une crédulité de bas âge.
 
Moi-même, quand j'ai souhaité passer mon permis en Chine, je n'ai pas eu à m'acquitter des tests. J'avais toutefois pour preuve mon permis de conduire international.
 
C'était en mai, l'an dernier. J'ai retrouvé Zhu, une accointance d'affaires avec qui j'avais pris rendez-vous pour que celui-ci, du fait de son relationnel, selon ses propres termes, puisse "transformer mon permis international en permis de conduire chinois".
 
Zhu m'a présenté à un inconnu, archétype du cutéreux monté à la ville, dont l'apparence laissait penser qu'il devait avoir moins de vingt-cinq ans, mais dont le physique déjà éprouvé dénotait de l'origine agricole. Sympathique et souriant, ce garçon était incapable de communiquer autrement qu'en chinois et suzhouhua, le dialecte de Suzhou. Une liasse pampléthaire de documents sous le bras, il m'invitera à le suivre.
 
Zhu restera à son bureau. Le jeune homme, moi-même, et un autre gaillard plus âgé partirons visiter le bureau dédié. Nous arrivons dans cette administration chaotique qu'est le centre de passage du permis de conduire. A l'accueil, comme partout, c'est le pugilat. Nous passerons cette étape, sans patienter, et irons directement dans le bureau adéquat.
 
En Chine, avoir de l'argent n'est pas important. L'essentiel, c'est d'avoir des connexions. L'entraide est total, même si il est à peine légal. C'est plus ou moins toléré, car une partie de l'économie repose sur ce principe... Qui permet de nourrir des individus. Nous n'avons pas eu à attendre notre tour, car le chinois nous accompagnant officiait en passe-droit. Le jeunot n'était là que pour tenir les documents, et les remplir.
 
Dans la première pièce fourmillait la même foule. De chaque côté du mur étaient acollés des bureaux, méthodiquement, dans une discipline stalinienne. Chacun d'entre eux constituait une étape pour passer les formalités. Là aussi, il y avait de l'attente, les prétendants à la détention du permis de conduire jouant des coudes. Sans nous soucier de ceux-ci, nous sommes allés directement à la guérite du responsable. Le chinois qui nous accompagnait est allé lui taper dans le dos, a plaisanté avec lui comme si ils avaient fais le régiment et lui a offert une cigarette. Nous sommes repartis un mégot plus tard, avec des documents en main.
 
Suite à cette étape de copinage administratif, je n'ai pas eu à faire les tests auditifs, ni même de vue. Notre accompagnateur est passé au bureau des médecins en charge, leur a pris le tampon des mains sans que ceux-ci ne sourcillent, et a dûment estampillé ma demande de permis de conduire. Puis, alors que tout le monde faisait la queue aux guichets, il a fait le tour, passant derrière, et s'est servi de tous les cachets, formulaires et autorisations, sous les yeux des assujetis qui faisaient le pied de grue. Etonnant à voir, et parfaitement à l'image de ce principe corruptif, et qu'ici, on nomme "amitié".
 
Par contre, je n'ai pas pu me soustraire aux tests du code de la route, même si je n'ai eu qu'à sauver les apparences. Au dernier étage de ce batiment se trouve la salle de test. Il y a en fait une salle d'attente de hall d'aéroport, où l'on reste assis, en attendant d'être appelé pour passer les tests dans l'autre pièce. Dans cette autre pièce sont alignés des ordinateurs uniquement équipés d'un pavé numérique. Chaque candidat, une fois appellé, s'assoit derrière un pupitre high-tech, et dispose de trois quarts d'heure pour répondre à quatre vingt dix neuf questions.
 
Grâce à "l'amitié" chinoise, je suis rentré sans passer par la salle d'attente, et un ordinateur a été libéré pour moi sur le champ. Je me suis assis, ai regardé les questions, entièrement en mandarin. Le préposé viendra à mes côtés, me chuchotant d'attendre un peu, pour d'évidentes raisons de discrétion. Je suis resté assis là, pendant un quart d'heure, derrière cet écran dont les polices m'étaient hiéroglyphiques.
 
Autour de moi, on s'activait pour répondre aux questions. Certains candidats disposaient du code de la route sur les genoux, et y farfouillaient allègrement pour dénicher les réponses. Il s'agissait là aussi de gens ayant des connexions, pouvant ainsi rentrer avec toutes les anti-sèches souhaitées.
 
Un quart d'heure plus tard, le même fonctionnaire se profile à deux pupitres de moi. Il vérifie les documents du prétendant au clavier, pour s'assurer qu'il ne trichait pas... Feignant de ne pas remarquer ceux qui disposaient franchement de leur bouquin. Il passe au pupitre adjacent, prend discrètement le clavier des mains d'une chinoise qui avait des difficultés, et répond à toutes les questions restantes à sa place. Comme il s'agissait du pupitre contigu, celà permettait d'acheter le silence de la candidate, et éviter une plainte quelconque de sa part, au risque que le fonctionnaire corrompu en question ne perde sa place.
 
Dès que la demoiselle aura eu tout bon, il prendra mon clavier, jettera quelques coups d'oeil vifs d'inquiétude autour de lui et, en dix minutes, résoudra mes quatre vingt dix neuf questions. Au solde de celà, il me fera signe de rester assis encore un peu, et s'éloignera sans même me regarder. Après deux minutes, le jeune chinois me fera signe de le rejoindre.
 
Nous ressortons, et, dans la salle d'attente, il y avait toujours les mêmes candidats qu'à mon arrivée, une demie heure plus tôt. En redescendant, nous ne ferons pas la queue au guichet. Nous passerons directement derrière, et cinq minutes plus tard, j'aurais mon permis de conduire, avec la surprise de voir que mon nom chinois n'est pas le bon. En fait, "Ke Lin" ne se rapprochait pas du tout de mon nom de famille "Pavillon", et le préposé à préféré m'appeller "Bo Luo". Je ne vois toujours pas la proximité avec "Pavillon", mais ça n'est pas grave.
 
Dans la voiture, j'ai payé quatre cent yuans pour une heure et demie de prestation. Mon permis chinois est valable six ans.
 
Avoir son permis de conduire, même si celà tend à se banaliser, reste assez récent. Quand j'annonce que j'ai le mien depuis bientôt seize ans, les locaux ont souvent du mal à me croire. En Chine, il n'y a que ceux qui ont un peu de moyens, et donc un certain statut, qui se le permettent. Lu Zhong, un ami entrepreneur, qui est propriétaire d'une usine ne comptant pas moins de cinq cent ouvriers, n'a son permis que depuis quatre ans... Alors qu'il aura bientôt trente cinq ans. Mon partenaire, Wang Ke Rong, l'a passé cette année, alors qu'il a déjà vingt neuf ans. Tout ceci est très commun. Posséder une voiture est un rêve pour les chinois, chimère rendue réalisable par l'expansion économique. En conséquence, l'accroissement du parc automobile annuel est le plus élevé au monde. Et le gouvernement réussit assez bien à développer les infrastructures nécessaires à un tel déferlement de nouvelles plaques d'immatriculation. Mais il n'en reste pas moins vrai que la jeunesse de la plupart des conducteurs est totale. Malgré tout, j'ai le sentiment (mais peut-être uniquement forgée par l'habitude) que la situation s'améliore. Les jeunes qui obtiennent leur permis de conduire sont plus éduqués que les conducteurs l'ayant obtenu il y a dix ans, et la sécurité tend à devenir un paramètre.
 
 
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16 août 2006 3 16 /08 /août /2006 10:28
Aujourd'hui, je déroge à la règle fondamentale de mon blog, qui est de relater exclusivement mon expérience en Chine. Mais je connais une histoire si belle, si romanesque, tellement emplie d'amour, et surtout, dont la conclusion est le plus beau message d'espoir pour ceux qui se sentent seuls... Que je ne résiste pas à l'envie de vous la raconter. Après tout, les règles, c'est comme les bonnes résolutions : elles ne tourmentent que si on les appliquent.
 
Cet été, Cai Li et moi sommes passés en France, pour un peu moins de trois semaines. C'était le premier voyage de la demoiselle hors de Chine, et elle n'avait jamais pris l'avion. Autant vous dire qu'elle a vécu l'aventure de sa vie. J'y reviendrais certainement dans un autre billet, tant il y a de choses à raconter dans la confrontation culturelle... Et qui devraient amuser.
 
Je me déplace normalement en France une fois par an, à l'occasion des fêtes de fin d'année, histoire d'en savourer la chaleur familiale. Cette année, j'ai aussi dérogé à cette règle (mais il ne faut pas croire que c'est une habitude), car mon meilleur ami, mon vieux poteau Edouard, que je connais depuis une bonne vingtaine d'années, se mariait. Au-delà du fait que j'étais témoin, il était impensable de ne pas partager le plus beau jour de sa vie.
 
Par ailleurs, son histoire avec Elodie, son épouse, est loin d'être banale, et reste l'aventure la plus romantique que je connaisse... Alors que celle-ci a commencé il y a treize ans maintenant.
 
En 1993, Edouard rencontre Elodie, alors que tous deux étaient étudiants. Ils tombent amoureux l'un de l'autre, et démarrent une relation passionnée. Ils avaient alors tous deux une vingtaine d'années. Après quelques mois seulement, ils décident de vivre ensemble.
 
Hélas, après presque trois ans, ils se séparent... En mauvais terme. L'amour était là... Et si leur relation n'a pas tenu à l'époque, c'est du fait d'une certaine jeunesse, et d'une innocence qui amène à croire qu'éprouver des sentiments intenses suffit à construire. Avec l'âge, et l'acquisition d'une certaine maturité, on réalise qu'aimer est un verbe qui doit, dès le départ, se conjuguer au futur, et jamais au présent.
 
Depuis leur séparation, j'ai vu Edouard changer, et batir, étape par étape, l'homme qu'il est devenu. A l'époque de leur rupture, celui-ci assurait son service militaire à la Croix Rouge, très efficacement... Mais n'était pas encore dans une période de construction. Son rêve, son aboutissement, depuis le sortir de ses études, c'était de monter sa propre entreprise.
 
Suite à la rupture, et à la fin de son service, il a voulu changer d'air. Il est parti tout d'abord sur Paris, où il a vécu différentes expériences professionnelles, qui l'ont rassuré dans l'idée que son objectif restait l'entreprenariat. Puis il est parti sur Lilles... Où, après une expérience en entreprise, il a décidé, finalement, il y a maintenant quatre ans, de sauter le pas, et de monter sa propre structure. Capensis était né. Vous pouvez visiter le site de la société à www.capensis.fr.
 
Les premières années ont été dures, comme pour n'importe quel entrepreneur qui n'a pas la chance de démarrer son activité dans un pays aussi économiquement euphorique que la Chine. Il a du se battre, à chaque instant, sans baisser les bras, pour assurer la pérénité de la société, la sécurité de son équipe, et la satisfaction de ses clients. Et des moments difficiles, il en a eu.
 
Durant ces années, qu'il soit à Tours, dont nous sommes originaires, à Paris, ou à Lilles, à chacune de nos retrouvailles, dès lors que nos soirées s'allongaient lascivement autour d'une bonne bouteille, Edouard évoquait Elodie, prouvant à quel point il avait mal vécu le manque d'aboutissement de leur relation. Simplement, elle était encore là, chaque jour, à chaque instant, à chacun de ses pas, derrière chacune de ses pensées.
 
L'intensité de ses souvenirs m'avait toujours d'autant plus frappé qu'Edouard et moi avions vécu des histoires similaires, au même moment. Lui et Elodie s'étaient séparés précisément le 21 juillet 1996, après trois ans de vie commune, et une semaine auparavant (un 14 juillet que j'aurais du mal à oublier), ma petite amie de l'époque, dont j'étais éperduement amoureux, et avec qui je vivais aussi depuis trois ans, rompait.
 
Au solde de ma rupture, je m'étais enfoncé dans une effroyable tristesse dont je ne me remettrais qu'un an après... En tournant la page petit à petit. Edouard, lui, n'a jamais cédé à la tristesse, et a su, dès la séparation, canaliser ce désespoir en une rage constante de s'en sortir, de se construire, et de se surpasser. J'ai trouvé mon salut dans la diversité des expériences, principalement les voyages et l'écriture. Edouard, lui, a transformé tout ce réservoir d'énergie négative en un propulseur fabuleux, qui l'a amené à tenir les rennes d'une PME.
 
Lors de nos retrouvailles durant toutes ces années, Edouard réussissait même, tant nos histoires avaient été liées, à me faire part de souvenirs concernant ma propre relation... Que j'avais moi-même oublié ! Même si Edouard s'est construit par rapport à celà, cette tenacité mémorielle prouve à quel point, même dix ans après, il ne l'avait pas acceptée. Tout simplement, c'était avec Elodie qu'il avait voulu construire son existence... Et ce sentiment là n'a jamais changé. On dit toujours que le temps cicatrise les blessures sentimentales... Edouard est l'exception.
 
Au début de l'an dernier, lors d'un de mes passages en France pour les fêtes, je suis passé à Lilles, histoire de revoir Edouard. Capensis commençait à se stabiliser, et il était toujours célibataire. Et lors d'un de nos dîners... Il est reparti à reparler d'Elodie. Pour ça, il était fantastique : depuis 1996, je n'ai jamais eu besoin de mettre le sujet à l'ordre du jour. Il l'évoquait dans tous les cas.
 
Mais ce qui avait changé, en janvier 2005, c'est que, par le biais d'un site internet recensant les copains de classe, il était tombé par hasard sur Elodie, et qu'il avait bien l'intention de la revoir. Quand Edouard m'en a parlé, c'était avec une certaine hésitation, me demandant si "ça ne me dérangeait pas". Moi, l'histoire que j'ai vécu en couple quand j'avais vingt ans était enterrée depuis bien longtemps. Mais celà prouve à quel point, pour lui, elle était restée vivace au coeur.
 
Je suis rentré en Chine, et Edouard a continué à m'informer, m'annonçant que quand Elodie l'a revu, elle a plaqué l'existence qu'elle menait, pourtant en cours d'aboutissement, et est venue directement s'installer à Lilles, avec Edouard. Et je crois me souvenir que c'est en mai de la même année, cinq mois plus tard donc, qu'il l'a demandé en mariage... Et qu'elle a accepté.
 
Cinq mois, celà peut paraitre bref. Mais ce n'est pas la bonne façon de compter. Leur histoire a commencé en 1993, s'est interrompue en 1996, et depuis, tous deux nourrissaient les mêmes besoins de retrouvailles. Pour Elodie, Edouard était le seul homme avec lequel elle avait jamais envisagé de passer son existence, et pour Edouard, vieillir aux cotés toute autre personne qu'Elodie n'avait aucun sens. Alors, bien au contraire, dix ans, je trouve que celà fait long !
 
Entretemps, l'un est l'autre s'étaient construis, individuellement, se retrouvant avec un capital d'innocence nul, mais avec un apport d'expérience et de maturité qui cimentera à jamais leur passion. Malgré les années, la distance, les expériences variées, la construction professionnelle... L'amour était resté intact.
 
Pouvez-vous imaginer celà, vous ? Attendre la même personne pendant dix ans ? Sachant particulièrement qu'entre vingt en trente ans, il s'agit d'une période de la vie où l'on construit le plus d'expériences nouvelles, où l'on détruit toute sa naïveté ? Et pouvez-vous imaginer celà, que la personne que vous attendez, durant toutes ces années, malgré sa propre construction, vive dans la même attente ?
 
Depuis qu'ils ont décidé de se marier, j'ai raconté plusieurs fois à Edouard, lors de nos correspondances par email, que leur histoire avait traversé l'Oural, l'Himalaya, et le Désert de Gobie, car dès lors que je rencontre des gens qui sont dans la solitude sentimentale, je leur raconte l'aventure romantique et véridique d'Edouard et Elodie, pour leur faire comprendre que la vie ne s'arrête pas, et que l'espoir est toujours permis, si il reste moteur d'une construction.
 
Ils se sont retrouvés, se sont mariés, et leur histoire est terminée. Terminée ? Et bien non, justement, et c'est en celà que c'est fantastique : elle ne fait que commencer.
 
Le romantisme à la française est une image d'Epinal qui s'exporte bien. Et quand Cai Li m'a entendu lui raconter l'histoire d'Edouard et Elodie, il était clair pour elle que, même si celle-ci reste fantastique, elle ne pouvait être que française. C'est tout simplement la plus belle histoire.
 
Je vous invite à voir les clichés des noces, en deux étapes : mariage civil et célébration entre intimes, et mariage religieux avec toutes les festivités d'usage.
 
 
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